L’art de raconter en se dérobant.
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Élégamment déroutant, le premier roman d’Emmanuel Villin, à paraître le 1er septembre aux éditions Asphalte, illustre que raconter est un art de la dissimulation et il réussit avec un talent prometteur à placer le lecteur ou la lectrice dans une situation d’attente et de désir.
Le narrateur de «Sporting Club», ayant formé le projet de conduire une série d’entretiens avec un certain Camille en vue de publier un livre, et ayant finalement obtenu un accord de principe de sa part, attend dans une ville méditerranéenne que celui-ci l’appelle, pour accéder enfin à sa demande d’interviews au long cours.
Apparemment, l’énigmatique Camille, éminent réalisateur de cinéma âgé mais toujours flamboyant, ne souhaite pas entrer dans l’histoire – ni dans celle que nous lisons ni dans celle que le narrateur projette d’écrire – car il ne cesse de se dérober, en ne se montrant pas, en détournant la conversation lorsqu’ils se rencontrent, ou en se saisissant du moindre prétexte, généralement nébuleux, pour retarder ce qu’il appelle ironiquement les «séances d’interrogatoire».
«C’est dans cette attente incertaine et propre à la rêverie que j’échafaudais des échappatoires à mes déconvenues avec Camille, des plans sans lendemain, dont l’exécution et la faisabilité m’importaient finalement moins que leur conception.»
Désœuvré et faussement tranquille, le narrateur attend et laisse défiler le temps en faisant des longueurs de crawl dans le bassin olympique du Sporting Club, îlot de flânerie et d’indolence dans une ville anonyme, à proximité de ces lieux d’échappatoire potentiels que sont la mer et l’aéroport. Et le temps semble prendre une consistance nouvelle sous ce soleil écrasant, s’étirer presque indéfiniment, avec l’enchaînement interminable des longueurs dans la piscine et de l’attente, en position allongée, dans l’ombre d’un parasol.
«Je restai à me morfondre des journées entières au Sporting, en proie à l’ennui qui, conjugué à l’effet du soleil, altérait mes sens au point d’être sujet à des visions. Dans mon demi-sommeil, je crus ainsi apercevoir un jour au loin un Super Constellation survoler la mer. J’entrevis même l’hippocampe ailé sur le nez de l’appareil, emblème qu’Air France avait hérité d’Air Orient – compagnie dont les premières liaisons avaient été assurées par des hydravions, gros goélands qui devaient alors se poser sur la mer à quelques brassées de mon transatlantique. Ces hallucinations, loin de m’ébranler, me confortaient dans l’idée que le Sporting, rare site rescapé du désastre, était devenu en quelque sorte la porte d’entrée d’une faille temporelle dans laquelle je parvenais à me glisser.»
L’ambiance du club de natation maintenu dans un état de semi abandon malgré le tarif élevé d’adhésion, l’appartement minuscule au bout d’une impasse, attenant à une propriété luxueuse, qu’occupe le narrateur, l’atmosphère interlope de la ville anonyme et insaisissable, où les traces du passé et décombres de la guerre sont frénétiquement recouverts par des constructions anarchiques, dans un grand foutoir architectural ; tous les repères sont brouillés dans cette ville, qui, tandis que l’intrigue habilement se dérobe, prend le rôle de personnage central du livre.
«Je cherchai ainsi vainement à reconstituer les contours d’un monde disparu, vidant mentalement les lieux de l’encombrante présence des constructions nouvelles, comme s’il s’agissait de faire glisser les calques superposées d’un palimpseste, pour ne plus observer que le surgissement crépusculaire d’une cité fantôme. Dernier inventaire avant démolition.»
S’agit-il d’un livre sur la difficulté d’écrire ? Très loin de l’histoire qui ne démarre jamais vraiment du «Préhistoire» d’Éric Chevillard, beaucoup plus près de l’ambiance de temps dilaté du «Stade de Wimbledon» de Daniele del Giudice, Emmanuel Villin développe un art délicat de la suggestion et, par une multitude de détails et d’images, scènes réelles ou imaginaires nimbées d’incertitude, relations obscures entre les personnages, fragments de souvenirs intimes, réussit à produire une atmosphère singulière et hypnotique, à la manière de Patrick Modiano.
«Je demeurais quant à moi fasciné et chaque fois saisi du même sentiment d’effroi et d’extrême vulnérabilité lorsque, vêtu de mon seul maillot de bain, je contemplais le fuselage d’acier étincelant me survoler au ralenti, les trains d’atterrissage sortis, pareils à des serres prêtes à me capturer au passage.»
Vous pourrez commander et acheter ce roman chez Charybde dès sa parution le 1er septembre ici, et participer avec nous à la fête de lancement du «Sporting Club» le 8 septembre à 19h à la brasserie Le Select.
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