Un jaillissement né d’une image, l’apparition d’une femme.
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En 1961, le narrateur est nommé dans son premier poste d’instituteur, à 20 ans, dans le Périgord, tout près du site de Lascaux, sur la rivière La Grande Beune. En allant acheter ses cigarettes au village, il devient fou de désir pour Yvonne, la buraliste, une reine sensuelle et blanche comme le lait.
«Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’ instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait.»
Yvonne est déjà prise, par un homme qui la maltraite.
«La Grande Beune» est l’histoire d’un désir violent et animal, désir de chasseur prenant la forme d’un récit mythologique et archaïque. La géographie des lieux, les paysages débordent de cette sensualité qui habite les protagonistes, «la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la Grande», «les combes où rien ne se voyait que le ciel, des haltes secrètes sous des hêtres». La préhistoire est omniprésente dans ce récit, qui résonne comme un retour à l’origine du monde*.
«Les bois se remplirent du cri lamentable des loups se gorgeant d’une belle victime qui vous est chère ; ce bâton en travers d’épaules me parut propre à d’autres proies : j’y crus voir garrotté sous des nylons froids que la posture troussait, au lieu du poil roux celui, tout noir et cru, moussant aux cuisses épaisses de cette garce. Je courais tout à fait, j’en avais le prétexte ; des joncs se brisaient sous mes pieds ; l’air à mes oreilles m’étourdissait ; sortie du bois par une sente infime, toute droite et peut-être effrayante comme Ysengrin le connétable, âpre comme sa louve, elle était là à deux pas de moi debout, telle qu’en courant j’aurais pu la heurter. Elle me parut géante. Je m’arrêtai court.»
Nouvelle de moins de quatre-vingt pages, «La Grande Beune» est un texte étincelant, né de l’apparition éblouissante d’une femme, en écho à l’émoi du narrateur du «Roi du bois».
«La Grande Beune» fut présenté superbement par Pierre Jourde, libraire d’un soir chez Charybde en avril 2013, et on ne se lasse pas de le réécouter ici.
Pour acheter ce livre, publié en 1996 aux éditions Verdier, c’est par là.
*Dans son entretien à la Femelle du Requin, à lire dans «Vertiges de la lenteur» (éditions Le Tripode), Pierre Michon indique que L’Origine du monde était le titre originel du livre mais qu’il ne fut pas conservé, car déjà été trop utilisé.
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