Un livre sur la non-littérature qui donne envie de ne jamais cesser de lire.
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Le narrateur de «Bartleby et compagnie» a renoncé à la littérature depuis vingt-cinq ans, suite au traumatisme de la réaction de son père à la publication de son premier roman, un roman sur l’impossibilité de l’amour. Il commence en ce jour de Juillet 1999 un nouvel écrit consacré aux écrivains qui ont renoncé à la littérature, dans l’ombre du «Bartleby» de Melville et grâce aux notes sur les «écrivains négatifs» qu’il a accumulées au cours de toutes ces années de silence littéraire.
«Je m’apprête donc à partir en promenade à travers le labyrinthe de la Négation, sur les sentiers de la plus troublante et de la plus vertigineuse tentation des littératures contemporaines : une tentation d’où part le seul chemin encore ouvert à la création authentique ; la tentation de s’interroger sur ce qu’est l’écriture et de se demander où elle se trouve, et de rôder autour de son impossibilité – mais aussi quant au caractère on ne peut plus stimulant – du pronostic que l’on peut porter sur la littérature en cette fin de millénaire. »
Dans son «Abrégé d’histoire de la littérature portative», Enrique Vila-Matas s’était déjà intéressé aux poids légers dans l’histoire de la littérature, imaginant une société secrète d’écrivains, pouvant «justifier d’une œuvre qui ne pesât pas trop lourd et qui pût aisément tenir dans une mallette ». Ici il évoque, en écho aux «Artistes sans œuvre» de Jean-Yves Jouannais, ouvrage qu’il a préfacé lors de sa réédition, les écrivains sans livres, les copistes et autres agraphiques qu’il nomme des bartlebys.
Le triestin Bobi Bazlen, que Daniele del Giudice évoque dans «Le stade de Wimbledon», disait : «Je crois qu’on ne peut plus écrire de livres. C’est pourquoi je n’écris plus de livres. Presque tous les livres ne sont guère que des notes en bas de page, gonflées jusqu’à en faire des volumes. Je n’écris donc que des notes en bas de page.»
Renoncer à l’écriture par folie comme Walser, par vanité comme Maupassant, parce que les mots l’abandonnent comme Tolstoï, parce qu’un autre (Saramago) publie vos romans avant vous, comme ce personnage d’une nouvelle d’Antonio de La Mota Ruiz, par escroquerie, par imposture, ou bien parce qu’ayant compris le sens de la vie, on n’a plus rien à écrire. Renoncer comme Wilde, parce qu’on cherche indéfiniment un mot ou un lieu pour écrire, ce livre ressemble à un labyrinthe qui n’aurait pas de centre.
«Je suis comme un explorateur qui avance vers le vide. C’est tout.»
Tourbillon d’érudition littéraire empreint de mélancolie, «Bartleby et compagnie» n’est jamais trop savant ; écrit justement sous forme de notes de bas de page, il ne nous parle que de cet art de l’égarement, de ces grands livres absents, restés en suspension dans les marges, de cette histoire des Arts Négatifs, dans les yeux érudits de celui qui se présente comme un modeste dénicheur de Bartlebys.
Pour chez Charybde acheter ce livre paru en 2000, et traduit de l’espagnol par Éric Beaumatin pour Christian Bourgois éditeur en 2002, c’est ici.
Si juste, cette chronique, avec le compagnonnage des écrivains cités ; une sorte de fratrie du renoncement aux mots qui les porte pourtant au plus beau de ce qu’ils signifient.