Fragments hantés d’une impossible et jouissive reconstitution mémorielle par les interstices.
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Publié en avril 2015 aux éditions de l’Attente, ce nouveau texte de Philippe Annocque poursuit l’exploration des possibilités d’existence d’une identité, qui hante, chez l’auteur, aussi bien, en creux pourrait-on dire, le passionnant « Liquide » que, dans les tâtonnements sous contrainte à travers les genres littéraires, avec « Monsieur Le Comte au pied de la lettre », ou bien, par l’usage d’un dispositif rusé et puissamment révélateur, le troublant « Vie des hauts plateaux ». Avec cette quête mémorielle annonçant sans doute, dès le titre, son échec prévisible, mais heuristique et réjouissant, l’auteur tente cette fois, non pas d’atteindre une globalité autobiographique du souvenir, mais bien de rapiécer un tissu d’éléments désormais disjoints, égarés, dont la réalité même est peut-être mise en doute, pour en repérer les failles, avant d’espérer pouvoir les combler, en tout ou en partie.
La voici d’un coup, impromptue, sous la main : la preuve ! Elle est là, tangible et manifeste ; prête à feuilleter à volonté par qui voudra. Son authenticité, son origine plutôt ne peut pas faire de doute – d’ailleurs oui, on s’en souvient : toute cette matière vient de soi ; on en est, comment mieux dire, l’auteur ! Pourtant quand était-ce, tout ça, toute cette vie insoupçonnée ? La question résiste, mauvais pli du drap sous la main du dormeur malhabile, et voici qu’au moment de la compulser, la preuve, page à page, en proie – c’est bien compréhensible -, à la plus vive des émotions, voici que tout ce qui soudain s’étale devant les yeux certifie l’improbable. On comprend : on se souvient pourtant de n’avoir pas vécu.
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Respectant avec une certaine souplesse la chronologie d’une existence à revivre dans ses fragments, discernant mal, à chaque fois, malgré l’aide apportée par la figure tutélaire de Murielle, ce qui ressort du solide, du dur, de l’indéniable, de ce qui renvoie plutôt au doute, à l’incertitude, au déjà-vu fugace et légèrement angoissant, Philippe Annocque égrène les stations d’un chemin de croix paradoxal, où la légèreté se bat pour triompher du réel et de son poids, où l’invention langagière et la métaphore devenue réalité concourent à l’effort dont la lectrice ou le lecteur se régalent, en direct ou en léger différé.
Donc : apprendre à voler. Personnellement, si cela a un sens, c’est à l’école, précisément, que ça se passe. Pas en classe, bien sûr ; pour plus d’espace il faut la cour de récréation, entre les murs de pierre meulière, parmi les tilleuls élagués. C’est là, dans ce décor que le temps aujourd’hui teinte d’une nostalgie involontaire, qu’ont lieu les premiers décollages. Ils sont vraiment maladroits, sans talent, et même plutôt fortuits, voire carrément fâcheux ; on s’en passerait volontiers. (On s’en passe d’ailleurs aujourd’hui, et c’est fort bien).
Ce n’est pas tout à fait vrai, à y repenser. À cet âge-là, on n’est pas encore revenu des ambitions de cette sorte. Alors, discrètement, un peu à l’écart, on essaie, on se lance. En vain, la plupart du temps, et bien conscient d’une incompétence manifeste.
Et puis voilà que d’un coup, au moment de renoncer ; pire : alors que le renoncement est déjà prononcé, accepté, digéré, voilà que, hop, sans prévenir, on se retrouve à flotter dans l’air, à une dizaine de mètres au-dessus du sol, au-dessus des tilleuls élagués de la cour. (Miraculeuse occasion d’un eurêka tardif ! Voici donc l’explication de cette inesthétique habitude qu’ont les directeurs des écoles communales de faire élaguer si sévèrement les tilleuls des cours de récréation : il faut bien laisser de la place aux évolutions hasardeuses des apprentis planeurs.)
Sans utilisation visible d’un dispositif particulier, mais pleinement engagé dans son processus photographique, Philippe Annocque nous propose un formidable échafaudage, un redoutable agencement de réductions de focale, poétiques et subtiles, jusqu’au moment où le souvenir authentique, la bribe culturelle et le fragment arraché au rêve ne sont plus discernables, créant chacun la même tension, entre langueur, assouvissement et inquiétude, cette tension d’où naît, encore et encore, l’écriture.
Ce qu’en dit Claro, depuis son Clavier cannibale, est ici. Ce qu’en dit annavalenn mOOd est là. Ce qu’en dit Guillaume Contré dans le Matricule des Anges est là-bas.
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