Idéaux et rêves incendiés.
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Après avoir publié neuf livres à l’École des loisirs, «Onze rêves de suie» (éditions de L’Olivier, 2010) a marqué un tournant dans l’œuvre de Manuela Draeger, une des voix du post-exotisme, au moment où paraissaient également «Écrivains» d’Antoine Volodine (éditions du Seuil, Fiction & Cie) et «Les aigles puent» de Lutz Bassman (éditions Verdier).
Dans un camp, après la défaite de la deuxième Union Soviétique et l’échec de la révolution mondiale, la bolcho pride organisée chaque année reste un des seuls moments de fierté et de joie du peuple de gueux et d’Untermenschen du camp.
Quand débute le récit, la bolcho pride a très mal tourné cette année-là pour un groupe de jeunes qui ont désobéi à un parti pourtant dissous depuis longtemps : Pour faire la révolution, ils ont voulu s’emparer d’un dépôt d’armes et se retrouvent enfermés à l’intérieur lorsque l’immeuble prend feu. Alors qu’ils sont piégés au cœur de cette obscurité enflammée, entre vie et mort, leurs souvenirs resurgissent, les souvenirs noirs d’une enfance dans le ghetto et ses moments extraordinaires où la Mémé Holgolde, vieille femme immortelle, leur contait des histoires pour ancrer en eux l’idéal égalitaire et les faire réfléchir à la défaite de la révolution.
«Soudain, la Mémé Holgolde s’échauffa. Dans sa tête une fois de plus prenaient vie des objectifs grandioses, la défaite terminale du malheur, la danse triomphale du prolétariat sur l’ensemble de la planète, la paix et l’égalité entre les primates, les sous-hommes et les espèces humaines ou quasi-humaines. Ses yeux pétillaient. Elle se gratta le ventre à travers son corsage de coton jaunâtre.»
Les histoires de la Mémé Holgolde mettent en scène l’éléphante Marta Ashkarot qui se réincarne conte après conte dans une nouvelle existence, d’éléphante ou d’humaine, et rencontre les derniers révolutionnaires insanes et déguenillés, qui croient encore à la possibilité d’instaurer une société égalitaire malgré l’évidence de la défaite, et de la fin toute proche de l’humanité.
«-Tu te rappelles la Première Union Soviétique ? Juste au début, quelqu’un avait dit que, pour arriver au communisme, il fallait les soviets plus l’électricité. C’était un petit chauve. Son nom m’échappe.
-Je me rappelle vaguement, réfléchit Marta Ashkarot. Les soviets plus l’électricité, oui. Mais je me rappelle plus si c’était pour arriver au communisme ou au socialisme. Ca se passait tout de même il y a sept ou huit siècles.»
Pour conclure sur ce livre, où le merveilleux des contes et la survie de l’espoir jusqu’au dernier souffle malgré la faillite des idéaux forment un récit particulièrement poignant, laissons la parole à Antoine Volodine :
«Le pessimisme le plus lugubre et le désastre absolu sont une pâte inerte avec quoi on peut façonner des objets extrêmement lumineux.»
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