Au milieu des joies et des drames, le sel de la langue et du sens, pour cette troisième année de vrai-faux journal.
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Publié en 2011 à l’Arbre Vengeur, le troisième « autofictif », ce journal permanent concocté par Éric Chevillard, à trois entrées par jour (le plus souvent indépendantes, mais composant à l’occasion un unique texte quotidien à trois paragraphes), dont le titre fut initialement et avant tout ironique vis-à-vis d’un « genre littéraire » peu apprécié de l’auteur, après « L’autofictif » (2009) et « L’autofictif voit une loutre » (2010), couvre l’année « scolaire » 2009-2010.
Renouvelant ainsi à nouveau cette prouesse d’inventivité, s’exposant au fil des jours à l’échec possible, à la demi-teinte qui ne trouve pas ce jour-là ce lecteur particulier, comme à la fulgurance qui résonne longtemps et très au-delà de l’agenda, Éric Chevillard consolide sa toile intime interstitielle en développant progressivement une radieuse complicité, réelle ou imaginaire – qui s’en soucierait – avec sa toute jeune fille, Agathe, voit poindre une prochaine deuxième naissance, et, surtout, sans doute, affronte tout au long de cette année, avec une pudeur joueuse, la mort et le deuil d’un père.
La main enfouie dans sa poche, il fait tinter ses clés en marchant afin que nul n’ignore qu’il possède des maisons, des coffres, des voitures, mais le passant se dit plutôt que cet homme décidément doit avoir de nombreux prisonniers. (…)
Moi, je vois surtout que les affaires des mendiants prospèrent si bien qu’ils ne cessent d’embaucher. (…)
Puis je me réconcilie avec le festival de musique mécanique qui a envahi les rues paisibles de ma ville. Car pour une fois l’intolérable vacarme n’est pas produit par une jeunesse efflanquée et chevelue arc-boutée sur ses guitares saturées, mais par de ventripotents et rubiconds moustachus coiffés de canotiers qui tournent inlassablement leurs manivelles, et cette dérision de Woodstock enchante mon esprit rebelle. (…)
Les activités de l’homme moderne sont tenues pour responsables de la déforestation et du réchauffement climatique, ce qui n’est guère contestable, mais on les condamne à ce titre et on parle de catastrophe écologique quand il ne s’agit que d’étendre au prix de lourds sacrifices l’habitat naturel du fennec et de la gerboise. (…)
Notre petit château individuel de science et de culture où se mélangent et se fracassent entre eux tous les styles, avec une porte imposante, une tour maîtresse plutôt fière, presque droite, puis des renforts de tôle et de carton sur les ailes et des emprunts incongrus, des blocs venus de l’autre bout du monde, montés à l’envers, mal jointoyés, tenus par un mortier de salive, et dont la silhouette baroque, branlante, comique, se hérisse d’inutiles pignons, de gargouilles intarissables, de flèches rompues, d’antennes vibrantes et d’une unique girouette qui fait tourner toute la bâtisse sur son axe, ce château toujours en chantier, rattrapé par la ruine, assiégé en permanence par les châtelains du voisinage et dont un seul termite fragilise la charpente et fait pleuvoir les tuiles – se découpe sur le ciel blanc, le ciel béant de notre ignorance sans fond ni bords. (…)
Bien sûr, les objets ont une âme. Chez tout autre, cette guenille nous paraîtrait répugnante. Or c’est Gus, notre vieux torchon. (…)
Vous ne prétendez tout de même pas nous faire lire ce livre tranchant, contondant, explosif, tout hérissé de littérature ! (…)
Je suis ta nounou, tu peux m’appeler tata.
Certainement pas, répond Agathe, j’appelle toute mes nurses ma brave Henriette. (…)
Tout le monde s’accorde à reconnaître que le baseball est un sport absurde et incompréhensible. Il est en effet bien aisé de deviner que ses règles aberrantes ont été fixées par des casseurs et criminels désireux de favoriser la libre circulation de cette arme terrible : la batte, dont le véritable usage nous est révélé trop souvent au travers de faits divers sanglants. Reconnaissons toutefois que l’invention prétexte de ce prétendu sport collectif dénote chez ces brutes un esprit de ruse et d’astuce qui fit par exemple complètement défaut à Mikhaïl Timofeïvitch Kalachnikov. (…)
Un nouveau formidable concentré d’imagination, d’humour, de sophistication, de ruse et de beauté, en un permanent défi songeur à la grisaille et au conventionnel.
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© Andersen / Solo – D’un excellent billet d’Estelle Ogier sur Zone Critique : http://zone-critique.com/2014/01/03/eric-chevillard-peloponnese/
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Rétroliens/Pings
Pingback: Note de lecture : « L’autofictif prend un coach – Journal 2010-2011″ (Éric Chevillard) | Charybde 27 : le Blog - 12 juin 2015