Superbe travail sur les débuts en 1979-1992 de la lutte à haut risque de la justice italienne contre la mafia.
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Ce très gros roman graphique (400 pages avec les annexes), publié en 2011 en Italie et en 2012 en France aux Arènes (dans une traduction d’Hélène Dauniol-Renaud), associant le scénariste Manfredi Giffone aux deux graphistes Gabrizio Longo et Alessandro Parodi, décrit par le menu, à travers ses dizaines de protagonistes, les quatorze années difficiles et heurtées du début de la lutte sérieuse contre la mafia, en gros de l’arrestation du financier mafieux Sindona aux États-Unis en 1979 à l’assassinat de Paolo Borsellino, le successeur du juge Giovanni Falcone, en 1992.
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Impressionnant tableau qui, par le jeu de la mise en perspective, révèle au lecteur incrédule (s’il n’avait pas suivi ces évolutions dans le détail) les dizaines d’assassinats de policiers, de magistrats, de politiciens, de simples témoins et enfin de dirigeants et simples soldats mafieux, ainsi que la toile complexe de corruptions entretenues dans les milieux d’affaires et les milieux politiques, qu’il faudra attendre l’opération « Mains Propres », née au départ d’un pur hasard milanais, pour commencer à démêler.
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Décrivant donc dans le menu quatorze années de tentatives de défaire cette mortifère toile serrée, comme l’avait annoncé le premier en littérature le grand Leonardo Sciascia dans « Le jour de la chouette » (1961), cette bande dessinée, à l’instar du terrible « Gomorra » (2006) de Roberto Saviano, provoque une forte réaction, entre le dégoût et la peur. Et elle éclaire utilement la toile de fond des enquêtes du commissaire Montalbano d’Andrea Camilleri, au passage. L’analyse socio-politique de l’ensemble du phénomène, en revanche, mériterait la lecture du remarquable et glaçant « Le retour du Prince » de Roberto Scarpinato, lui-même dernier juge en activité du grand pool anti-mafia de la Palerme de ces années-là.
Comme on l’oublie trop souvent et comme trop de politiciens et de communicants s’évertuent à le minorer, en Italie ou ailleurs, « on est tombé bien bas, bien plus bas que tu ne crois »…
Le seul bémol, strictement personnel, à ce qui aurait été sinon une réussite totale, concerne la forme : le choix du théâtre de marionnettes et de la fable animalière pour le récit n’a hélas pas bien fonctionné pour moi, ayant compliqué inutilement mon travail de lecteur, qui devait déjà compter avec des dizaines de personnages à suivre et reconnaître, pour regretter qu’ils soient de plus déguisés en vautours, rhinocéros ou hyènes, sans que ce parti pris esthétique ne m’ait semblé apporter un véritable « plus ». Peut-être tout simplement, ne connaissant pas les marionnettes traditionnelles palermitaines de l’Opera dei Pupi de Mimmo Cuticchio, l’intense travail de transposition effectué ici ne m’a-t-il guère touché…
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