Stig Dagerman dans les décombres et l’indifférence
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Journaliste suédois alors âgé de 23 ans, Stig Dagerman est envoyé en reportage en Allemagne à l’automne 1946 pour témoigner de l’état des villes allemandes. Pendant deux mois, il va parcourir les ruines et s’immerger dans l’effroi de la vie quotidienne des Allemands.
Contrairement à de nombreux journalistes, il refuse de faire un amalgame trop rapide entre les regrets du passé dus à la misère et à la famine, et une gangrénisation nazie de la société allemande ; mais il est également le témoin sans complaisance des difficultés du processus de dénazification.
«La guerre est un tout aussi piètre pédagogue. Si l’on essayait de faire dire à l’un des Allemands de ces caves ce qu’il avait appris de la guerre, on ne s’entendait malheureusement pas répondre que c’était elle qui lui avait appris à haïr et à mépriser le régime qui l’avait déclenchée – pour la bonne raison que la menace constante de la mort ne peut enseigner que deux choses : avoir peur et mourir.»
En 1949, dans une lettre qu’il envoie au directeur du théâtre d’Hambourg, Dagerman écrira : « Le thème central de mon œuvre est l’angoisse de l’homme moderne face à une conception du monde qui s’écroule […] et je crois qu’une des possibilités de salut consiste à ne pas se laisser vaincre par son angoisse, ni à fuir devant soi-même, mais à affronter le danger les yeux ouverts. » Stig Dagerman trouvât en 1946 le courage de se confronter à une réalité inhumaine, épreuve sans doute déterminante dans son destin tragique, et certainement d’autant plus marquante pour lui qu’en tant que témoin étranger, il pouvait s’y soustraire.
«Trois mille cinq cent mètres. Les fleurs de givre grandissent sur les hublots. On nous communique notre position. Nous survolons la ville de Brême sans la voir. Brême la déchiquetée est cachée sous de gros nuages allemands, cachée de façon tout aussi impénétrable que la souffrance muette des Allemands.»
Dans L’usage des ruines, Jean-Yves Jouannais dresse un portrait superbe de Stig Dagerman, dont le besoin de consolation fut après 1946 définitivement impossible à rassasier.
Un livre présenté par luvan lors d’une soirée « Littérature scandinave » à la librairie Charybde en juin 2014, et on peut la réécouter ici. Pour acheter le livre chez Charybde, c’est par là.
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