Plus qu’une n-ième déclaration enflammée d’amour, la brûlante résolution poétique d’une équation apparemment impossible.
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Publié en 2011 aux Doigts dans la Prose, « Isabelle, à m’en disloquer » est une saisissante déclaration, complice et revendicative, à l’être aimé, conduite par Christophe Esnault sous une forme résolument poétique et calligrammatique.
L’exercice me semblait a priori particulièrement délicat, voire risqué, sur un terrain nourri d’années – ou de siècles – de pratique littéraire, ayant nourri aussi bien de somptueuses réussites que de sordides échecs, et usant volontairement d’un langage qui se doit de côtoyer, en équilibre instable, l’abîme de la beauté compacte des mots ramassés pour sauter à la gorge et au cœur, mais aussi, en évitant d’y chuter, le trou glauque du pur cryptique, degré zéro de la poésie qui s’en remettrait uniquement au lector in fabula pour atteindre son but improbable.
Christophe Esnault se sort magnifiquement de ce double défi. S’appuyant sans doute, comme indiqué en hommage liminaire, sur le troublant et extrême « 4:48 Psychose » de Sarah Kane, pour le rythme et la scansion, pour – aussi ou surtout – la nécessité d’affronter les yeux dans les yeux la tentation close et fatale de la dépression à deux, il réussit à surmonter, haut la main, mièvrerie, déjà vu et provocation douteuse, pour nous offrir une course joyeuse et puissante, où se mêlent intimement les corps complices, les cœurs conquis et les intelligences condamnées à utiliser et à dépasser leurs prodigieuses cultures artistiques et littéraires.
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Regarder derrière soi
cinq ans sans même embrasser une fille soûle
repoussant chapon déplumé en demande d’infini
un pur
claudiquant mélasse
névrose aux semelles
déchet humain égaré
(amoureux des livres)
Je n’aurais pas voulu de moi si j’avais été une fille ivre
Peau neuve mémoire vide
Un texte sauvage, voire brutal par moments, dont toute la tendresse implicite et la jouissance secrète demanderont sans doute à la lectrice ou le lecteur de prendre le temps de l’apprivoiser, avant d’en être pleinement récompensés par l’irruption de sa flamboyance intime.
Pour l’anecdote, je suis tout de même, à nouveau, très étonné que Christophe Esnault affecte de prendre pour cible, même sans grande méchanceté (dans son tout nouveau « Correspondance avec l’ennemi », en librairie le 15 mars prochain, que j’ai parcouru mais pas encore lu, et dont je vous parlerai fort prochainement), Claro – comme le fait par ailleurs son éditeur, souvent fort irascible et souvent fort brillant, David Marsac – alors que, manifestement, la proximité des intentions littéraires et humaines est ici très forte. J’en veux pour preuve, entre autres, ce bref extrait d’ « Isabelle, à m’en disloquer », qui rejoint très directement le commentaire de Claro sur le « Écrire » de Marguerite Duras et le « Pas dans le cul aujourd’hui » de Jana Cerna, recueillis lors de sa performance en tant que libraire invité à la librairie Charybde, le 5 mars 2015.
Elle me disait hier
donner plus facilement
à un homme son derrière
qu’elle ne lui confierait son roman inédit
Aux amants, les femmes ne doivent pas
faire lire les livres qu’elles font
Marguerite Duras
Ce qu’en dit Sophie Adriansen sur son blog Sophielit est ici, ce qu’en dit Mariette Navarro dans son Petit oiseau de révolution est là, ce qu’en dit magnifiquement Anne Vivier dans ses Racines est ici.
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.
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Discussion
Rétroliens/Pings
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