Vingtième enquête du commissaire sicilien sous les signes ambigus du défi enfantin et de la folie noire.
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Publié en 2010, traduit en français en 2015 par Serge Quadruppani au Fleuve Noir, la vingtième enquête du commissaire sicilien Salvo Montalbano présente comme à son habitude le subtil mélange d’ingrédients qui font le sel de cette série pour les amatrices et les amateurs, dont je suis indéniablement : bonhomie misanthrope, humour caustique, goût du canular spontané destiné à l’autorité incompétente, esprit d’équipe et d’amitié sincère toute enveloppée de pudeur, repas essentiels et promenades digestives, palourdes et rougets de roche, whiskies longuement dégustés sur la terrasse face à la mer en compagnie de l’amie Ingrid, conversations téléphoniques orageuses finissant tantôt en réconciliation tantôt en aggravation avec la fiancée génoise Livia. Autant d’éléments rituels d’une paisible vie jouisseuse sous le soleil de Porto Empedocle, que viennent aussi régulièrement menacer les intrusions toujours brutales, et souvent terrifiantes, du réel et du contemporain, de la folie et de l’avidité qui les caractérisent toujours davantage.
Que Gregorio Palmisano et sa sœur Caterina aient été des grenouilles de bénitier depuis leur première jeunesse, c’était connu dans tout le pays. Ils ne rataient pas un office matutinal ou vespéral, une sainte messe, une célébration des vêpres, et certaines fois ils allaient à l’église même sans raison, juste parce qu’ils en avaient envie. Le léger parfum d’encens qui stagnait dans l’air et l’odeur de la cire des chandelles étaient pour les Palmisano plus attirants que le fumet de sauce tomate pour qui n’a pas mangé depuis dix jours.
Toujours agenouillés à la première rangée, ils ne baissaient pas la tête pour la prière, ils la gardaient levée, les yeux bien ouverts, mais ils ne regardaient ni vers le grand crucifix au-dessus de l’autel majeur ni vers la Madone des douleurs à ses pieds ; non, ils ne détachaient pas un instant leur regard du curé, de ce qu’il faisait, ils observaient comment il se déplaçait, comment il tournait les pages de l’Évangile, comment il bénissait, comment il bougeait les bras quand il disait « domino vobisco » et puis finissait avec « ite missa est ».
La vraie virité, c’est qu’ils auraient voulu être parrino, curé, l’un et l’autre, se mettre l’aube, l’étole, les parements, ouvrir la petite porte du tabernacle, tenir en main le calice d’argent, donner la communion aux dévots. Tous les deux, Caterina aussi.
Dans un ennui somnolent, agaçant pour l’intellect toujours bouillonnant du commissaire mais au fond pas si désagréable, la crise de folie de deux vieillards confits en religion, après plus de peur que de mal, aurait pu être, quasiment, une distraction bienvenue. Mais lorsque peu de temps après apparaissent une bien improbable copie conforme de l’un des trophées les plus sordides et les plus saugrenus découverts, en sus d’une impressionnante collection de crucifix, chez les deux anciens, puis une invitation à une bien curieuse chasse au trésor, la célèbre intuition, si bizarre, de Salvo Montalbano, qu’un étudiant en psychologie lui demande d’ailleurs à pouvoir étudier de plus près, se déclenche, et la torpeur de ces journées vides de crimes n’est bientôt plus qu’un souvenir.
À propos de bourreau et de victime, devait-il prendre l’initiative d’appeler Livia ou pas ?
C’était à lui de le faire, évidemment, puisque Livia avait déjà démontré de faire la paix en l’appelant. Mais c’était Ingrid qui lui avait répondu et donc ça avait bien merdé.
Il se leva, entra, fit le numéro. Fut agressé.
– Tu l’as fait exprès !
– Quoi ?!
– De me faire répondre par Ingrid !
– Livia, mais comment peux-tu penser que moi…
– Tu es capable de tout avec tes machiavélismes !
Faire comme si de rien n’était et continuer.
– Livia, je te prie, si tu m’aimes un peu, de me laisser parler cinq minutes de suite.
Et ça finit qu’ils firent la paix. Mais au petit matin, de sorte que les dirigeants de l’opérateur téléphonique, pour l’occasion, débouchèrent le champagne.
Sans doute moins marquée socialement et politiquement que plusieurs de ses enquêtes de la période 2003-2009, « La chasse au trésor » est en revanche l’une de celles qui joue le plus finement du contraste violent entre la farce, les méditations et la brutalité déchaînée qui caractérisent tour à tour l’œuvre réjouissante d’Andrea Camilleri.
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