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Notes de lecture 2015, Nouveautés

Note de lecture : « Pars mon fils, va au loin et grandis » (Joss Doszen)

Itinéraire gouailleur d’un exil africain plus subtil et aussi rude que les clichés plus usuels.

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Pars-mon-fils

Publié en auto-édition en 2008, comme le captivant « Le clan Boboto » un an plus tard, remanié pour sa réédition chez Athéna,  l’éclectique et passionnant éditeur dakarois, fin 2014, le premier récit du « griot junior » (comme il se définit lui-même) Joss Doszen tranche déjà, montrant beaucoup de maturité surprenante et réjouissante dans un tel « écrit de jeunesse », avec une certaine production littéraire « africaine », en ne sacrifiant guère à un éventuel exotisme surjoué, et en proposant avec justesse une chronique gouailleuse, sans effets spéciaux mais avec le charme de l’authenticité ne cherchant ni la plainte ni la complaisance, d’un ancrage toujours difficile sur le « marché ouest-européen du travail ».

Dans une pérégrination allant d’Orléans à la banlieue parisienne, de Saragosse à Londres, de Dakar à Lyon, le héros de Joss Doszen porte avec lui une aride et belle auberge espagnole, sans le halo boboïde et nettement privilégié financièrement qui entoure si cotonneusement celle de Cédric Klapisch, et avec autant si ce n’est davantage d’humour cinglant et d’auto-dérision.

Appelant un chat un chat (que chacun le cherche ou non) et un racisme larvé en mode automatique un racisme tout court, l’auteur se démarque néanmoins sans peine, comme d’ailleurs dans « Le clan Boboto », de l’usage immodéré des clichés du ghetto – ceux-là même que Sami Tchak exacerbe si sauvagement pour mieux les déconstruire dans son excellent « Place des Fêtes » -, mais sans éprouver non plus le besoin colérique de s’en détourner absolument, tel un Gaston Kelman et son « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », par exemple.

Il y a quelques mois, je réservais mes journées à mes murs, mes livres et le vieil ordinateur à qui on avait donné son « bon pour la décharge », mais que j’avais sauvé in extremis du démembrement. À force de me gaver de lectures plus ou moins profondes, j’en suis venu à me dire : « Pourquoi n’écrirais-je pas moi-même ? Je devrais être capable de mettre sur papier au moins les mêmes conneries que ceux qui remplissent certains de mes livres. » Le glissement devenait évident. Après tout, j’ai toujours aimé raconter des histoires. J’ai toujours eu l’âme d’un griot, et un griot c’est quelqu’un qui conte la vie en essayant de donner du sens à son récit. Depuis, je me suis tellement souvent épanché sur les pages blanches de mes calepins que, quand il a fallu se jeter dans le vide encore une fois, seuls ces derniers ont trouvé grâce à mes yeux. Ce sont les premiers à prendre place dans mes valises, ces cahiers qui renferment tellement de moi-même.

Pont

Sous le verbe racé et souvent moqueur, sous la discrète revendication de normalité et de survie dans la difficulté, Joss Doszen sait avec brio marquer à la fois une spécificité africaine, et même souvent congolaise, qui ne peut pas se diluer dans une quelconque « blackitude », ni en France ni au Royaume-Uni, et une connivence socio-économique avec tous ceux qui rament tant pour s’en sortir, dans un univers d’entreprise qui ne veut jamais autant d’eux que le discours lénifiant d’auto-justification libérale ne le prétend, et qui démontre chaque jour que « se défoncer » et « souffrir », s’ils sont indispensables, ne sont pas suffisants – et que là, certains stigmates « visibles » n’aident guère, en effet.

Dans ce pays où il était courant de dire « le liquide circule », les circuits économiques traditionnels étaient mis à mal par ceux qui restaient les seuls possesseurs de cash, et donc du vrai pouvoir. L’impôt sur les sociétés, d’un niveau ridiculement haut, rendait inévitable la corruption de masse, en commençant par le petit douanier qui vous emmerdait à l’aéroport, jusqu’aux responsables administratifs des plus hautes sphères qui réclamaient leur « trois pour cent de péage », chacun leur tour… Il faut ajouter à cela le fait qu’au Congo ceux qui avaient les poches débordantes de fric avaient oublié l’adage selon lequel il vaut mieux « apprendre au frère à pêcher que de lui donner un poisson tous les jours ». Ils préféraient maintenir leur emprise sur leur famille, leur quartier, leur pays, en distillant au compte-goutte leurs faveurs. L’argent circulait de mains en mains, de « solidarités » familiales en « aides » amicales, de troisièmes maîtresses aux dépanneurs de femmes délaissées. Le type de système D qui empêche les fiers et les débrouillards de s’en sortir et transforme la population en adepte de la main tendue.

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Université d’Orléans

Roman « africain » lorsqu’il évoque les années de jeunesse et la matrice congolaise, les premières années étudiantes, fiévreuses, à Dakar, les failles de la solidarité parfois bien surestimée des familles élargies, ou les bonnes surprises des parrainages souriants et inattendus, roman d’apprentissage social contemporain lorsqu’il raconte les dents serrées sur un sourire narquois imperturbable les galères à Orléans, à Pau ou à Saint-Denis, ce texte contribue largement à une belle compréhension de ce lien contemporain entre France et Afrique, et de ce qui mine, au coeur, une partie non négligeable de notre jeunesse, quelle que soit sa couleur de peau. Toutes les amatrices et amateurs du « Debout-payé » de Gauz et des satires volontairement joufflues de Cedric Klapisch devraient se régaler des récits intercalés de ce griot en exil de partout et en reconquête de lui-même.

Dans l’avion en direction d’Orléans, mon prochain port d’attache, aucun de ces souvenirs de fête n’enlaidissait mon séjour à Dakar. Même le regret de n’avoir pu harponner ces naïades sénégalaises ne m’empêchait pas d’apprécier ce passage au Sénégal qui avait fait de moi un autre homme. En m’éloignant, j’avais en tête ces dernières paroles de mon père qui reflétaient si bien mon expérience en terre des Gaïndés : « Mon fils, je t’envoie loin pas seulement pour faire des études, mais aussi pour grandir. »
Dans cet avion, j’avais conscience d’avoir grandi sur bien des points. Mon mental et l’aspect sexuel de ma vie avaient été comme dopés aux hormones. Mais je ne pense pas que mon père faisait particulièrement allusion à ma libido quand il me parlait de grandir. Et d’ailleurs ce n’étaient pas les souvenirs de mes succès de Don Juan que je tentais de noyer dans ce jus de raisin fermenté offert par Air France. J’essayais surtout de me défaire de tous les moments difficiles vécus dans ce pays qui revenaient me hanter, et de ne pas tenir compte de cette incertitude qui me broyait l’estomac.
Plus de sept mois sans aucune nouvelle de mes parents lors de ma dernière année dakaroise. Tout ce que nous savions, c’est que les nôtres avaient trouvé refuge à Kinshasa. La guerre civile avait éclaté dans cette ville maudite de Brazzaville et pendant plus d’un an, le pays entier allait connaître une violence qui coûtera la vie à plusieurs milliers de personnes. Kinshasa et Brazzaville sont les terres d’un même peuple, même si les Stanley et autres de Brazza ont tenté de les séparer par une ligne imaginaire !

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

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Joss Doszen

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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