Très bon (et unique à ce jour) travail français sur l’œuvre de Juan Benet.
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Publiée en 1998 chez Nathan, cette étude littéraire de Claude Murcia, professeur de littérature comparée à Paris 7 (à Poitiers à l’époque), spécialiste des relations entre littérature et cinéma, et traductrice de Juan Benet dans notre langue, reste à ce jour le seul travail disponible en français sur l’œuvre du formidable créateur de la fictive Région.
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Intervenant cinq ans après la mort de Benet, et avant les ultimes traductions des « Lances rouillées », du « Chevalier de Saxe », de « Treize fables et demie » et de « Une méditation », ces 150 pages proposent une approche fouillée, se limitant volontairement aux dix romans usant du district imaginaire de Région, situant d’abord Benet dans le roman espagnol moderne et contemporain (Chapitre 1), décryptant à la fois son extraordinaire ancrage dans un réalisme traité le plus souvent sur le mode du jeu complexe, avec un foisonnement incomparable de géologie, de géographie, de cartographie et d’art militaire, maîtrisés à la perfection par l’ingénieur hydraulique que fut l’auteur, mais aussi son appropriation habile des canons du roman historique, en permanence, et du roman policier, par exception, dans « L’air d’un crime » (Chapitre 2).
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Claude Murcia peut ensuite se lancer avec brio dans l’analyse de la construction mythologique chez Benet, de son utilisation forcenée et envoûtante de figures se répétant en arrière-plan de toute son œuvre, et de sa poétique bien particulière (Chapitres 3 et 4). On remarquera à ce propos ce qui se dégageait déjà avec force de la lecture des romans eux-mêmes : bien qu’il ne soit jamais directement cité ici, Claude Simon est certainement l’auteur français qui entretient le plus de parenté et de connivence avec Juan Benet.
Le dernier chapitre tente joliment de préciser l’importance centrale du conflit dans le travail de Benet, en y inscrivant la part fondatrice de la guerre civile espagnole ayant marqué son enfance et sa jeunesse, mais aussi le rapport spécifique qu’il entretint toute sa vie avec la guerre en tant que désolant et fascinant mode de résolution des désaccords fondamentaux.
Un travail captivant qui donne toujours davantage envie de se plonger dans les romans de l’univers de Région.
« Je n’aime pas les idées claires, je préfère me débrouiller dans la pénombre. » Toute l’œuvre de Juan Benet repose sur le postulat de ‘ « inintelligibilité fondamentale » du monde. La pénombre, terme récurrent dans ses fictions et qui donne son titre au dernier roman du cycle régionais, résume à la fois une vision du monde fondée sur l’énigme et un principe d’écriture en adéquation avec l’épistémè qui la fonde. L’incertitude et le doute, attitude d’ordre philosophique et éthique procédant de l’appréhension imparfaite et nébuleuse d’un monde impossible à connaître et à comprendre, trouvent leur corollaire dans une poétique de l’ambiguïté et de l’incertain.
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