Cinq nouvelles explorent avec brio le psychisme de points de vue narratifs bien particuliers.
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Recueil de cinq nouvelles de l’artiste et écrivain suisse Jérémie Gindre, paraissant fin août 2013 chez L’Olivier, « On a eu du mal » semble emblématique de l’art de l’exploration de l’apparemment anodin que revendique l’auteur tant dans ses écrits que dans ses installations et autres travaux artistiques.
Issues d’une résidence aux Centre interfacultaire en sciences affectives et Centre interfacultaire en neurosciences de l’université de Genève (dans le cadre du programme Artists-in-Labs), ces nouvelles portent bien la marque d’une volonté de recréer au millimètre l’angle psychique particulier que doit fournir le point de vue d’un protagoniste choisi.
« Variété des passions », la première nouvelle, et sa famille canadienne en vacances au camping dans l’Alberta, écrite par les yeux du petit garçon, Paul, développe ainsi un charme subtil, où le mélange d’angoisses, d’inquiétudes, de projections qui peuvent traverser l’esprit du sujet sont tempérées régulièrement par son retour à une calme simplicité, dans une tonalité qui évoque la magnifique nouvelle « Le courage à l’âge de douze ans » de Jean-Marc Agrati, et dans une structure narrative qui laisse au lecteur tout le soin d’imaginer, peut-être, à chaque instant, le potentiel d’horrible ou de simplement angoissant dissimulé derrière le très ordinaire.
« Et tout casser », qui suit pas à pas la montée de troubles obsessionnels de moins en moins ordinaires chez une jeune fille, est pareillement troublante dans sa manière de faire cheminer le lecteur aux côtés de la protagoniste, parfois de très près, voire de l’intérieur, où le caractère normal de ses actes est éclatant, parfois à une légère distance qui suffit à faire brutalement exploser la folie qui est à l’œuvre.
« L’anorak », nouvelle claustrophobe par excellence, nous installe plus ou moins confortablement aux côtés d’un employé de station de ski, coincé dans la cabine d’une dammeuse ensevelie par une avalanche, et attendant les secours. Étonnant exercice de style, qui distille avec une grande finesse les mécanismes psychiques utilisés pour espérer, se calmer et ne pas céder à une panique légitime.
« Moitié moins » est encore un travail minutieux, et néanmoins alerte et presque poétique, de mise en doute du point de vue, accompagnant le jogging matinal d’un homme qui, suite à un accident cérébral, ne perçoit plus correctement tout ce qui se situe dans son hémisphère de vision gauche…
« Un été sans guêpes », enfin, et son groupe de sujets volontaires d’expériences en sciences cognitives, rassemblés dans une villa universitaire, résonne du côté de l’expérience vécue dans « Les normaux » de David Gilbert, mais touche aussi quelque chose de l’inquiétant distillé dans « Le début de quelque chose » de Hugues Jallon, et rejoint la première nouvelle du recueil en proposant au lecteur un anodin presque insoutenable d’attente angoissée.
« Avant d’éteindre la lampe de poche, Paul a pris soin de tuer les deux moustiques qui étaient entrés avec lui. La rumeur du camping est accompagnée du chant des grillons, auquel s’ajoute le grattage de son index sur le Kevlar du matelas gonflable. Étendu sur le dos dans la pénombre, il regarde le faîte de sa tente. Il a l’air de réfléchir, mais on ne sait pas à quoi. »
« Le premier soir au restaurant, alors que ça ne lui avait jamais traversé l’esprit, elle copie spontanément un couple d’Allemands qui grimacent en buvant du limoncello. Le copain rigole et commence à la trouver attirante, ce qui finit comme prévu. Il est gentil et musclé. Il lui parle du patrimoine de l’île, de petites plages quasi secrètes. Avec lui Mélanie Gillioz se sent prête à faire du topless. Un matin en faisant du jet-ski, elle se dit que finalement son truc, c’est plus les sensations fortes. »
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