Une partie de chasse, choc politique et esthétique subtilement déguisé en hommage bucolique.
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Ce roman de 1986, le troisième de l’auteur suédois, publié pour la première fois en français en 1990 aux Presses de la Renaissance, est un choc politique et esthétique majeur, magnifiquement déguisé en communion bucolique avec la nature, et très subtilement construit.
Trois amis sont réunis pour une partie de chasse hivernale : communion avec la nature, respect des règles et des proies, belle camaraderie virile sanctionnée par les viandes et les armagnacs, dans la langue précise, châtiée, magnifique même par moments (et dont la traduction par Jean-Baptiste Brunet-Jailly impressionne, au passage), du narrateur, l’un des trois protagonistes. Les hautes et belles considérations philosophiques et mystiques échangées par les trois amis sonnent juste, en harmonie avec leur environnement, même si, au fil des pages, quelques énormes « beaufferies », proférées avec élégance, peuvent alerter le lecteur, à côté de quelques autres « détails »…
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ATTENTION : deux « spoilers » partiels suivent.
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C’est que, premier glissement opéré en moins de 10 pages, la passion de la chasse est souveraine, dévorante, absolue : lorsque le gibier, averti, fuit le terrain au bout de quelques jours, les trois amis vont « naturellement » décider de devenir eux-mêmes traqueurs ET cibles, dans une ambiance toujours aussi virile, respectueuse et « saine », qui évoque comme en écho les discours « revivalistes » entendus au long du « Délivrance » de Boorman, par exemple, ou bien le sidérant vide métaphysique d’un Langlois chez Giono…
C’est aussi que, second glissement, beaucoup plus tardif, et souvent négligé par les commentateurs, cette dérive apparente n’en est pas une, du tout, et qu’au fil de la mise en place du dénouement, une tout autre réalité se fait jour, dans laquelle le rituel tragique, loin d’être occasionnel, tient une place centrale dans une construction sociale collective, à peine secrète, orchestrée par de nombreuses sociétés de chasse, rivales pour mieux contribuer au même « bien commun »…
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Glaçant, effroyable, vertigineux, au milieu du givre habillant joliment les arbres au petit matin et de la communion élégiaque avec « notre mère Nature »…
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« De retour au cabanon, nous nous sommes mis en devoir de décharger la voiture, avec la collection d’objets préhistoriques apportée par Gregor. Nous les avons disposés sur la table de la cuisine, en les classant selon leurs qualités respectives : percuteurs, éclats de silex, haches, pointes de flèche, ainsi qu’une pointe de javelot datant de l’âge du bronze, que nous avons mise à part. Le silex luisait d’un éclat marmoréen, enfermant un réseau de lignes gris foncé, souvent floues, et que la lumière faisait s’évanouir au toucher. Nous nous sommes attablés pour les examiner, éprouvant du bout des doigts le tranchant d’un couteau, ou nous lançant l’un à l’autre une hache afin d’en vérifier l’équilibre, mais il est arrivé que, tout à notre ardeur, nous laissions échapper l’un de ces objets ou un autre, et qu’il se brise alors dans sa chute. »
Ce qu’en dit Emmanuel Laugier dans le Matricule des Anges est ici. Ce qu’en dit In Cold Blog est là.
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