Treize nouvelles d’émotion et de poésie complexe par la magie de la syntaxe et du point de vue.
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Publié en 2002 chez Quidam, ce recueil de treize nouvelles était la toute première œuvre de Maïca Sanconie, et témoignait d’emblée d’une étonnante maîtrise du jeu subtil entre l’écriture d’une voix, soigneusement choisie en chaque occasion, et le point de vue narratif correspondant, qu’il se dévoile d’emblée, ou au contraire, peu à peu et insidieusement.
Ce brio est particulièrement manifeste lorsqu’il s’agit de voir un monde à travers le regard d’un enfant, et en plusieurs cas (« Les sacs » – ou le pouvoir radical de l’imagination enfantine qui ne connaît pas le pardon -, « La vie d’Emilio ») , Maïca Sanconie évoque le tourbillon du « Ce que savait Maisie » d’Henry James, ou, sans pourtant user d’éléments proprement fantastiques, les déroutants jeunes protagonistes que savent si bien mettre en scène une Lisa Tuttle ou une Mélanie Fazi.
Regards de femmes amoureuses jouant avec la déception qui se profile, regards de jeunes adultes sur leurs parents vieillissants, regards rêveurs et comme perpétuellement étonnés d’êtres qui acceptent la surprise d’une vie,… Une mention toute particulière pour deux nouvelles saisissantes : « La marche d’Igor », dans laquelle l’auteur invente une syntaxe et plie sa phrase au rythme d’un marcheur aux allures gionesques, et « La dame de pique », dans laquelle une histoire apparemment simple de faute et de filiation prend un relief tragique et fantastique presque uniquement grâce à la machiavélique succession d’angles obliques et incertains adoptés en changeant le narrateur au moment ad hoc, en vingt pages.
Un beau recueil qui donne nettement envie d’en lire davantage.
« Lorsque le vent se calma enfin, une foule criarde envahit de nouveau les quais et tandis que Nathalie s’enfonçait dans la ville, tranquillisée par le souvenir immuable du rectangle de sa fenêtre, M. Van Thuong traça sur un cahier étroit une multitude de caractères judicieusement espacés, mais si denses et si feuillus qu’on aurait pu les qualifier de végétaux, comme ces touffes sous-marines qui s’entêtent à surgir sur le sable des grands fonds, dans la nostalgie des forêts naissantes. » (« Les noces »)
« Je ne bougeai pas lorsque la porte d’entrée s’ouvrit enfin, lâchant un nuage éclatant sur la marée boueuse où je flottais. Je demeurai tout aussi inerte lorsque ma mère se précipita sur moi pour me relever, et ses mots d’amour inquiet me firent l’effet d’une résille brûlante qui s’abattait sur mon âme d’homme pour l’enfermer dans ma poitrine. Je me débattis alors dans ses bras, mais elle prit ma rage pour une terreur d’enfant et posa à ma joue un baiser qui scella notre désunion comme une fleur offerte qui se fânerait aussitôt. » (« Les sacs »)
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