Prouesse d’un grand auteur de « noir » : vérité et poésie à la fois sur les sommets enfiévrés d’une multinationale.
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Publié en 2005, traduit en français en 2012 par Serge Quadruppani chez Métailié, le sixième roman de Giuseppe Genna était un « hors série » n’utilisant aucun personnage récurrent issu des précédents romans.
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Dans l’univers à la fois très feutré et d’une extrême violence des sommets d’une multinationale italienne des télécoms, la réponse à une Offre Publique d’Achat potentielle, issue d’un concurrent anglais, se prépare. Le dirigeant suprême (« le Prophète »), son adjoint aux dents longues (« Mental »), quelques rivaux de moindre calibre, tous organisent la lutte pour le succès et le pouvoir, tandis qu’un « agent » sud-africain de classe mondiale (« l’Affairiste »), blanchi sous le harnais, prépare minutieusement son coup de déstabilisation au profit des adversaires britanniques, en cernant et en exploitant les points faibles de chacun…
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Étonnante prouesse de la part d’un auteur, certes extrêmement affûté, de « noir » : les sommets enfiévrés de cette multinationale sont pénétrés avec une immense justesse, une grande dureté et une poésie indéniable. Des intrications à la René-Victor Pilhes, un ton à l’emporte-pièce, lorsque nécessaire, typique des « grands » du New Italian Epic tels les Wu Ming ou Valerio Evangelisti, pour composer une toile précise, dans laquelle l’horreur, le vide et le cynisme du pouvoir s’effacent fugitivement devant l’amour, sans rien perdre toutefois de leur puissance délétère.
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« Il lui vient justement à l’esprit le regard éperdument malin, inutilement malin, de son père. L’enfance voudrait émerger dans une turbine de souvenirs et lui la freine. Ce qu’il considérait comme larmoyant, c’est maintenant l’unique ressource. Un chaud utérus imaginaire, dans lequel se précipiter.
Il désire une hypnose induite, mais pas cette façon d’imposer de l’Affairiste. Hypnose après la mort.
Il balbutie :
– J’ai compris. Qu’est-ce que vous voulez en échange ?
Ils veulent tout.
Ils dévoreront tout.
Ils feront preuve d’une clémence embarrassante, si tu consens à leurs requêtes.
Tu divorceras. Ta vie familiale est détruite, pour commencer.
Sauve l’œuvre. Travaille. Continue à travailler.
Tu as toujours été un misérable mercenaire. L’opérateur du mensonge, du bluff, l’Iscariote quotidien. Tu ne t’es jamais demandé ce qui s’agitait sous ce séisme que tu réglais par salves, au rythme des trahisons et des successions. Ton insupportable froideur, ton omniscience. Un champion du monde d’échecs est-il un petit dieu ? Tu vois, tu es nu et anéanti, les sursauts de la culpabilité commencent. Les faibles se dévorent : l’un l’autre, puis eux-mêmes.
Les pauvres sont des hommes qui baissent la tête sur leur propre estomac et mordent, se dévorent les viscères.
Tandis que les hommes sont occupés à ça, les puissants prospèrent : les peu nombreux.
Tu es hors d’eux. Tu es précipité dans les rangs des pauvres, des faibles. Tu es le pestiféré. Seul l’amour pourrait te sauver, mais c’est justement l’anéantissement de l’amour, auquel tu as opiniâtrement travaillé, qui t’interdit maintenant tout sauvetage. »
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