Inventer une morale du virtuel, et en confier la garde à… qui ?
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NOTE DE LECTURE RÉDIGÉE À L’ORIGINE EN ANGLAIS À PARTIR DE L’ÉDITION ORIGINALE ANGLAISE (SEE AT THE BOTTOM END OF THIS PAGE).
Publié en 2010, traduit en français en 2011 par Patrick Dusoulier en Ailleurs & Demain chez Robert Laffont (en deux tomes, et avec un titre perdant au passage toute la subtilité et les sous-entendus de l’original « Surface Detail » : je devrais passer avec pudeur sur ces « détails », mais je n’ai pas pu…), le huitième roman du cycle de la Culture de Iain M. Banks est, comme toute nouvelle publication dans cette série pour le fan presque inconditionnel que je suis, un moment important, et comme une petite fête à part entière.
Dans « Les enfers virtuels », de « nouveaux » services spécialisés (et pas uniquement « Circonstances Spéciales ») font leur apparition (pour le lecteur) au sein de la Culture, et doivent traiter une guerre de plusieurs décennies, certes virtuelle et « civilisée », concernant la possibilité et la légitimité de l’existence d’ « enfers virtuels », dans lesquels certaines civilisations (y compris certaines dites « avancées ») maintiennent dans d’atroces souffrances les copies des esprits de personnes décédées – sachant que cette guerre, longtemps uniquement virtuelle, est sur le point de faire irruption dans le « monde réel ».
« Les Enfers existaient parce que certains dogmes religieux l’exigeaient, ainsi que quelques sociétés qui n’avaient même pas l’excuse d’une religiosité excessive. Que ce fût à cause d’une transcription peut-être trop fidèle – passant d’une affirmation scripturale à une réalité démontrable – ou simplement d’un besoin irrésistible de continuer de persécuter ceux qu’on considérait comme passibles de châtiments même après leur mort -, un certain nombre de civilisations – quelques-unes très respectables par ailleurs – avaient construit au fil des éons des Enfers d’une horreur impressionnante. Ceux-là étaient rarement reliés à d’autres Au-Delà, infernaux ou non, et seulement sous surveillance très stricte, et généralement dans le but d’accroître encore les souffrances des suppliciés en les soumettant à des tourments que leurs congénères n’avaient même pas imaginés, ou des tourments traditionnels mais infligés par des démons aliènes encore plus épouvantables que la variété locale familière. »
« Il y avait toujours eu des sous-divisions spécialisées au sein de l’organisation titanesque qu’était Contact. Circonstances Spéciales était simplement la plus manifeste, et possédait la particularité d’avoir été formellement séparée pratiquement dès sa création. Cela tenait en grande partie au fait qu’elle était parfois amenée à faire des choses qui auraient horrifié tous ceux qui étaient par ailleurs fiers d’appartenir à la Culture. Cependant, au fil du temps, et particulièrement au cours des cinq cents dernières années, Contact avait jugé nécessaire de procéder à diverses réorganisations et rationalisations, qui avaient abouti à la création de trois autres divisions spécialisées. Le Service Quiétudinal était l’une d’elles. »
Ces services spécialisés auront aussi à affronter, d’une manière ou d’une autre, les machinations à grande échelle d’un tyrannique milliardaire local, dont l’ennemie personnelle (une ex-esclave, ressuscitée après qu’il l’ait violée et assassinée) a trouvé d’inattendus alliés en quelques-unes des plus efficaces machines de guerre de la Culture, tout particulièrement avec l’UOG de classe Abominator, En Dehors Des Contraintes Morales Habituelles.
Un grand roman de la Culture, dans lequel on appréciera aussi bien l’ampleur et l’intelligence du questionnement moral et politique mis en œuvre, comme presque toujours chez Iain M. Banks, que la profusion de bons mots, d’ironie, de sarcasme et d’humour noir qui fait aussi le charme de cette écriture bien particulière dans la science-fiction et dans la fiction contemporaines. Et on mentionnera bien entendu en passant, pour aussitôt oublier jusqu’à cette simple remarque, les coups de théâtre narratifs dont Banks est un authentique champion, depuis son tout premier coup de maître avec « Le seigneur des guêpes » en 1984.
« Elle attendit une réponse, mais celle-ci tardant à venir, elle reprit : – Ca ressemble beaucoup à une tentative d’impliquer des Joueurs galactiques équivtech avec l’intention d’empêcher une vraie guerre à grande échelle avec vaisseaux armés et tout ce qui s’ensuit. Je ne vois pas comment une situation pourrait être plus profondément Circonstances Spéciales que ça. – C’est une remarque intéressante. – Est-ce que CS est impliqué là-dedans ? – Pas que nous sachions. – Dans ce contexte, qui peut bien être ce « nous » ? – Permettez-moi de reformuler ma réponse : « Pas que je sache ». »
» « – Et ces Oubliés sont le dernier recours. » « – Probablement. C’est ce qu’on peut penser. Pour autant que je sache. » Venant d’un vaisseau, cela voulait probablement dire « non ». Mais Yime savait bien qu’il était inutile d’essayer d’obtenir d’un Mental une réponse moins ambiguë. »
» « Allons, continuez, Mlle Y’breq. J’ai hâte que la vitesse de libération soit atteinte pour échapper au puits des mondanités. » «
« – La classe Abominator des Unités Offensives Générales, à laquelle notre ami appartient, n’est pas particulièrement réputée pour sa douceur ni sa sociabilité. La spécification a probablement été établie lors d’une de ces périodes où la Culture craignait de ne pas être prise au sérieux parce qu’on la trouvait trop gentille. Même au sein de cette classe, il faut dire que ce vaisseau est un peu limite. La plupart des vaisseaux de CS gardent leurs griffes soigneusement rentrées et leur psychopathie en veilleuse, sauf en cas de nécessité impérieuse. »
La jolie critique de Naomi Alderman dans The Guardian, en anglais, est ici.
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.
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Culture new specialized services at work…
The release of a new Culture novel is always an important moment for the dedicated Banks aficionado that I am. This one is no exception.
In « Surface Detail », various « new », specialized, services (and not only Special Circumstances) have to cope with a decades-long virtual, « civilized » war about the existence of « Hells » where the mind-states of dead people are maintained in suffering by some (even advanced) « civilizations », knowing that this virtual war is on the verge of extending into the real world… They also have to deal with the wide-ranging schemes of a brutal local arch-tycoon, whose personal nemesis (a revived former slave he raped and murdered) found unexpected allies among some of the most efficient Culture warships, notably the Abominator-class GOU « Falling Outside the Normal Moral Constraints »…
This is a great Culture novel, full of delightful moments and sentences, like, for instance :
« This does sound like it involves tangling with equiv-tech galactic Players with the intention of stopping a proper ships-and-everything full-scale shooting war. I’m not sure how much more hardcore SC than that a situation can get. »
« »And these Forgotten are the last ditch ». – « Probably. So one might imagine. As far as I know. » That, in ship-speak, Yime thought, probably meant No. Though she knew better than to try to coax a less ambiguous answer out of a Mind. »
« Go on, Ms. Y’breq. I cannot wait for this to achieve escape velocity from the mundanity well. »
« The Abominator class of General Offensive Unit, to which our friend belongs, is not known for its mildness or sociability. Probably specced when the Culture was going through one of its periods of feeling that nobody was taking it seriously because it was somehow too nice. Even amongst those, though, that particular ship is known as something of an outlier. Most SC ships conceal their claws and keep the psychopathy switched to Full Off except when it’s judged to be absolutely necessary. »
And the real identity of the virtual warrior Vatueil, in the very last sentence of the book, will come as a nice surprise for the patient reader…
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