Le chef d’œuvre romanesque de Mudimbe sur le déchirement identitaire de l’intellectuel africain « occidentalisé ».
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Le troisième roman du Congolais (Zaïrois à l’époque) Valentin-Yves Mudimbe, paru en 1979 chez Présence Africaine, est sans doute son plus durement tragique.
Tour de force construit autour de l’impossible quête identitaire du Congolais dit « évolué », tellement nourri de culture universitaire occidentale qu’il en devient presque incapable d’appréhender la réalité de son propre pays, ce récit se présente comme le journal de la dernière semaine d’un ethnologue congolais, confronté à ce dilemme à propos d’une étude sur une peuplade de la brousse, dont la difficulté lui fait réaliser « l’écart » irréversible qui est désormais le sien, à tous points de vue, y compris sexuels, amicaux et amoureux, et va le conduire au suicide.
Avec ce chef d’œuvre d’humour sombre, superbement écrit, l’auteur, pourtant avant tout philosophe et anthropologue, réussissait une impressionnante plongée dans les contradictions intimes d’une Afrique moderne…
« Il me fallait plier. Trouver une sortie… Amer, face à mon impuissance… Le terme me qualifiait bien. Je rêvais de dire la pureté d’un monument. Le projet était, d’après Soum, stupide. L’expression d’un désarroi… Il me fallait changer de saison : abandonner le long d’un sentier mes cruches ébréchées, prendre une pioche pour construire des autoroutes… Condescendant, il m’expliquait la meilleure manière de vénérer la terre d’Afrique : « Depuis une trentaine d’années, l’on essaie de nous divertir. On nous clame la richesse et la complexité de notre culture… La belle affaire ! Quand la plupart des nôtres n’ont pas un repas correct par jour. Tu vois, Nara, on nous a appris, avec la négritude, à nous gratter… Une diversion pour enfants de riches… Toi qui es historien, tu peux comparer : on nous voudrait tous spécialistes de l’effeuillement. Pense aux problèmes du « Triomphe d’Henri IV », de Deruet… ». »
On peut lire un bel article récent sur Mudimbe, en anglais, dans le Grocott’s Mail, ici. Le très bon article de Justin Kalulu Bisanswa, dans les Cahiers d’études africaines, est là.
La photographie ci-dessous est de Lorhren-Rose Joseph.
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