Verve ravageuse, terrifiante et enjouée métaphore de la violence politique et humaine satisfaite d’elle-même.
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Troisième roman du touche-à-tout iconoclaste russe, publié en 2002, traduit en français en 2004 par Bernard Kreise chez l’Olivier, « La glace » développe la « manière Sorokine » déjà bien expérimentée dans le « Le lard bleu » précédemment, et constitue aussi le premier volet d’une trilogie qui sera poursuivie avec « La voie de Bro » (2004) et « 23000 » (2005).
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Récit en deux parties qui voit d’abord, dans la Russie contemporaine, les membres d’une secte pour le moins étonnante s’en prendre à des « victimes » qu’ils cherchent à « révéler » à grands coups de marteaux de glace dans la poitrine. Bonheur à ceux dont le cœur ou les poumons révèlent alors, sous les coups, un nom intime, dans un souffle involontaire : ils rejoindront la secte, malgré leur incompréhension initiale, et connaîtront la félicité. Malheur aux autres, dont les cadavres martelés et éclatés seront simplement abandonnés sur place.
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La suite du récit, à la première personne, retrace la genèse et la jeunesse de la secte, depuis 1943 et l’évacuation d’une jeune Russe déportée vers un camp de travail en Allemagne, où des SS déjà affiliés, usant de cette même méthode d’extraction déjà éprouvée, la révèleront à elle-même, et lui permettront de poursuivre son récit jusqu’à sa conclusion, dans la Russie contemporaine.
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« Uranov hocha la tête. Il regarda autour de lui.
« Eh bien, on peut la toucher ?
– Touche-la, mon ami. »
Uranov leva la main. Frop ouvrit une portière arrière du 4 x 4. Mer en sortit. Elle s’approcha de la voiture de Dato.
Lom ouvrit le coffre de l’Audi. S’y trouvait le mini-congélateur. Lom l’ouvrit. De la glace scintillait à l’intérieur.
Mer ôta de ses mains des gants de cuir bleu, elle les glissa dans une poche. Elle s’immobilisa un instant pour regarder la glace. Puis elle posa les mains dessus. Elle ferma les yeux.
Tout le monde se figea.
2 minutes et 16 secondes s’écoulèrent.
Les lèvres de Mer s’entrouvrirent. Une expiration accompagnée d’un gémissement sortit de sa bouche. Elle ôta ses mains de la glace et les appliqua sur ses joues vermeilles :
« Nominal. » «
Plutôt qu’une simple dénonciation du phénomène des sectes religieuses et millénaristes, une verve ravageuse au service d’une terrifiante et enjouée métaphore de la violence politique et humaine satisfaite d’elle-même.
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Thierry Guinhut en parle joliment dans le Matricule des Anges. L’entretien entre Vladimir Sorokine et Alain Nicolas dans l’Humanité, à propos de la trilogie, est particulièrement éclairant. Et avec un intéressant angle science-fictif, il faut lire les chroniques de Systar, ici, et de Patrice Lajoye dans Russkaya Fantastika, là.
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