La forêt profonde, objet de fantasme mortel par ce qu’elle pourrait receler…
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Publié en 2010 chez Quidam Éditeur, le troisième roman de Romain Verger poursuit un fascinant cheminement de récit tout en non-dit, dans lequel, comme dans « Zones sensibles » (2006) par exemple, un narrateur tout en introversion se confronte à ses souvenirs et à un environnement où le fantastique affleure et menace, bien que n’étant jamais que suggéré, sans preuves et sans démonstrations.
Un jeune chercheur français en géologie est envoyé, assez brutalement (les intrigues et les mesquineries du patron de son laboratoire n’y sont pas étrangères), en mission au Japon, au bord d’un lac volcanique situé au pied du Fuji-Yama, au bord d’Aokigahara Jukai, la « mer d’arbres », l’une des plus étendues et des plus anciennes forêts du Japon.
Entourée d’une sulfureuse et mortelle réputation (des hommes viennent régulièrement s’y perdre et mourir, dans un obscur appel au suicide…), la profonde forêt voisine provoque chez le jeune chercheur la résurgence de souvenirs de jeunesse jusque là plutôt enfouis, dans lesquels l’obsédant Vlad, au nom dénonciateur, camarade plusieurs fois perdu de vue et resurgi, amateur obsessionnel de sang et de chasse, compagnon d’insolites échappées sylvestres, vient jouer le rôle ambigu d’un Meaulnes inversé et maléfique, ou d’un terrifiant mentor issu de la « Scène de chasse en blanc » du Suédois Mats Wägeus.
Une bien inquiétante réussite.
« Ne suis-je pas déjà mort cent fois, abandonné, perdu, tué ou laissé pour tel et revenu à la vie autant de fois qu’il le fallait ? S’y fait-on jamais… Je n’ai rien d’un avatar virtuel, rien du héros de ces jeux vidéo où l’on tue par milliers et où l’on meurt en boucles, sans conséquences ; et moins encore d’un mort-vivant de Romero qui revient à la vie d’un pas lent, le corps dégingandé. Je pensais m’y habituer, que les choses perdraient peu à peu de leur poids et de leur gravité, qu’ainsi j’irai me présenter à la mort – à la grande Mort – extasié, anesthésié ; en éternel enfant qui traverse un bois dans la nuit sans étoiles, jouant à se faire peur pour en sortir plus fort. Mais à présent, comme l’on est loin des contes, et des plus cruels qui soient : je trempe dans l’eau croupie jusqu’aux mollets. Et dans le nez cette odeur de feuilles macérées, de soufre et d’urine. L’effet de la terreur sur moi… sur nous, baignant tous deux dans l’infusion macabre. La nuit aura été terrible à traverser, de bout en bout, pour en arriver là, à ce silence parasité de sinistres borborygmes… au pied d’une aube grippée qui ne se lèvera plus. »
Ce que dit le blog Asie Fantastique sur la forêt d’Aokigahara Jukai est ici. Et ce qu’en dit ma collègue et amie Charybde 7 est là.
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.
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