Le meilleur des dix premiers Montalbano, pour ses enjeux culinaires et pour la toujours brûlante actualité de ses thèmes criminels.
Publiée en 2003, la dixième enquête du commissaire sicilien d’Andrea Camilleri devient donc ma préférée à date.
Parce qu’on y retrouve avec toujours ce même plaisir l’équipe du commissariat, plus caustique et dévouée que jamais, parce que Catarella et ses talents contrastés deviennent encore plus épiques, parce que l’éblouissante Ingrid y est très présente, et la souvent pénible Livia plutôt discrète,…
Parce que Montalbano doit résoudre un problème particulièrement épineux : quelle trattoria choisir, maintenant que le réputé insurpassable Calogero prend sa retraite ?
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« Étant donné que la trattoria, qui s’appelait Chez Enzo, se trouvait en haut du bourg, le commissaire se résigna à prendre sa voiture. De dehors, la salle de la trattoria s’apprésentait comme une construction en tôle ondulée, alors que la cuisine devait se trouver dedans une maison qu’il y avait à côté. Il y avait une sensation de provisoire, de bricolage, qui plut à Montalbano. Il entra, s’assit à une table libre. Un sexagénaire sec, aux yeux très clairs, qui surveillait les mouvements des deux serveurs, se planta devant lui sans ouvrir la vouche, même pas pour dire bonjour. Il souriait.
Montalbano lui jeta un regard interrogateur.
– Je le savais, dit l’homme.
– Quoi ?
– Que, après avoir viré et tourné, vous viendriez ici. Je vous attendais. »
A l’évidence, au pays, le bruit s’était répandu de son chemin de croix consécutif à la fermeture de la trattoria habituelle.
– Et me voilà, répondit sèchement le commissaire.
Ils se fixèrent, les yeux dans les yeux. Le défi à la OK Corral était lancé. Enzo appela un serveur :
– Mets la table pour le dottor Montalbano et occupe-toi de la salle. Moi, je vais en cuisine. Au commissaire, je m’en occupe pirsonnellement.
Le hors d’oeuvre de poulpes à la croque-au-sel parut fait de mer condensée, qu’ils fondaient à peine entrés dans la bouche. Les pâtes au noir de seiche pouvaient dignement rivaliser avec celles de Calogero. Et dans le mélange de rougets, de bar et de daurade à la grille, le commissaire retrouva la saveur paradisiaque qu’il avait crue perdue pour toujours. Un motif musical commença de sonner dans sa tête, une espèce de marche triomphale. »
Peut-être surtout parce que c’est à un Salvo profondément désabusé, au bord de la démission par honte du comportement des forces de police italiennes lors des événements de Gênes, et des exactions commises pour soi-disant protéger ce sommet du G8, qu’échoit une terrible enquête « off », qui lui fera toucher de très près une horreur contemporaine particulièrement repoussante, à savoir la mise en place, au sein des filières de désespérés de l’immigration clandestine, de canaux spécifiques destinés à pourvoir l’Occident en enfants et adolescents destinés aux pédophiles forcenés et aux trafiquants d’organes (faits authentiques à l’appui, hélas).
Un très grand Montalbano donc.
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On ne remerciera jamais assez le site La Pasticciona pour la variété, la qualité et l’inventivité de ses recettes culinaires, qui fait même largement pardonner leur fâcheuse obession du watermark sur les photos.
La recette des poulpes à la croque-au-sel (« Purpi a strascinasali ») est rappelée sur l’excellent site Vigata dédié à Andrea Camilleri : « Il polpo a strascinasale o stricasale e’ solo bollito in acqua salata e servito intero ( si tratta di polpi piccolini,detti anche frajeddi ) con aggiunta solo di sale ed eventualmente di limone. Alberto ( socio buongustaio ) ».
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.
Et depuis le temps que j’indiquais « natation en mer » parmi les tags des notes de lecture consacrées à Salvo Montalbano, il était temps de conclure un article par cette photo, issue précisément de l’épisode « Le tour de la bouée » de la série télévisée.
Discussion
Rétroliens/Pings
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