Derrière la traque au serial killer à Bologne, le roman d’une ville, à quatre voix magnifiques.
Publié en 1997 (en 2001 en France, dans la Noire Gallimard dans une traduction d’Arlette Lauterbach), « Almost Blue » est l’un des plus connus des romans de Carlo Lucarelli, bien à raison, et celui qui installa l’inspectrice bolognaise Grazia Negro parmi les grandes figures du « noir » italien.
Davantage que la traque au serial killer qui constitue l’intrigue principale, ce sont les voix de narration, d’une flamboyante beauté et d’une variété troublante et achevée, qui donnent sa magie particulière à ce roman inhabituel dans le genre.
La voix de l’Iguane, tueur « habité » de voix féroces et incoercibles, qui le poussent à tuer encore et encore, et à changer de peau après chaque crime. La voix de Simon, l’aveugle qui scanne les fréquences radio sans arrêt quand il n’écoute pas de trésors du free jazz, seul capable d’entendre l’Iguane quellle que soit son apparence du moment. La voix de l’efficace et désabusé inspecteur Matera. La voix de Grazia, la policière hors normes, iconoclaste et d’une formidable dureté libre sous l’humble apparence, indispensable. La voix aussi, en fond, de la bureaucratie policière et de ses appendices, si rapidement dépassée par les événements, et tenant plus que tout au contrôle politico-médiatique. La voix de Bologne, enfin et surtout, cette ville si particulière.
Un grand roman.
« Cette ville, lui avait dit Matera, n’est pas comme les autres villes. Tout à l’heure, tandis qu’ils roulaient en voiture pour rechercher la colocataire de l’étudiante assassinée, Matera avait frappé la jointure de ses doigts sur la vitre et penché la tête sur son épaule vers l’extérieur. Cette ville, lui avait-il dit, est différente de ce qu’elle paraît. Vous la croyez petite parce que vous pensez à ce qu’il y a intra-muros, qui est à peine plus grand qu’un village, mais cette ville vous ne la connaissez pas, inspecteur, vous ne la connaissez vraiment pas. Ce que vous appelez Bologne est un territoire étendu qui va de Parme jusqu’à Cattolica, un bout de région écrasé le long de la via Emilia, où les gens vivent à Modène, travaillent à Bologne et le soir vont danser à Rimini. C’est une étrange métropole de deux mille kilomètres carrés et deux millions d’habitants, qui s’élargit comme une tache d’huile entre la mer et les Apennins et ne possède pas de vrai centre mais une périphérie diffuse qui s’appelle Ferrare, Imola, Ravenne ou la Riviera. »
« Cette ville, lui avait dit Matera, n’est pas comme les autres villes. Elle n’est pas seulement grande, elle est aussi compliquée. Si tu la regardes comme ça, en te baladant, Bologne semble toute d’arcades et de places, mais si tu la survoles en hélicoptère elle est verte comme une forêt grâce aux cours intérieures des maisons qu’on ne voit pas de la rue. Et si tu vas dessous avec une barque tu trouves tant d’eau et de canaux qu’on dirait Venise. Un froid polaire l’hiver et une chaleur tropicale l’été. Une mairie rouge et des coopératives milliardaires. Quatre types de mafias différentes qui au lieu de se tirer dessus recyclent l’argent de la drogue dans toute l’Italie. Tortellini et satanistes. Cette ville est différente de ce qu’elle paraît, inspecteur, cette ville a toujours une moitié cachée. »
Alex Infascelli a adapté le roman en film en 2000, sous le même titre, avec Lorenza Indovina dans le rôle de Grazia Negro.
La photographie de Carlo Lucarelli ci-contre est de Alex Waterhouse-Hayward.
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