Exceptionnelle fiction biographique sur Johnny Cash : 1954, 1965 et 1995 dans le regard de trois personnes différentes.
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Publiée en 2006, après trois premiers romans, cette « fiction biographique » d’Arno Bertina (dont par un tropisme musical indéniable, c’était le premier texte que je lisais) constitue un formidable hommage à Johnny Cash, tout en humour et en profondeur rageuse. Trois chapitres, trois époques, trois regards.
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En 1954, à l’aube de sa carrière, l’œil sceptique d’un vendeur de bibles croisant dans un séminaire de techniques de vente au porte-à-porte le vendeur d’électroménager et musicien amateur pour cérémonies religieuses, à la réputation de fougue et d' »obscénité » déjà localement bien établie, qu’est Johnny Cash à l’époque.
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« – Ce spectacle obscène, cette manière que vous avez de vous donner en spectacle, de vous agiter, vous les méthodistes. De vous agiter et de brailler comme font les Nègres ou ces jeunes qui saccagent la ville, sous prétexte de musique. »
En 1965, le récit d’une terrible nuit d’incarcération pour possession de substances, à El Paso, par un policier compatissant qui est aussi un fan de la star country déjantée, croulant sous le poids des tournées insensées, totalement accro aux barbituriques et aux amphétamines, qu’est devenue Johnny Cash.
« La nuit sera longue, je me suis dit, en pensant « lourde ». J’étais ému car j’aimais ce type et ses chansons, et j’étais gêné de le rencontrer comme ça. Qu’il y ait un témoin de son grelottage. J’avais honte de me présenter à lui en ayant autorité sur lui, un pouvoir, j’avais honte de ce pouvoir tout en sachant que je ne m’en servirais pas. Comme le Romain des Évangiles, j’aurais voulu le lui remettre, ce pouvoir, le déposer à ses pieds. Mais les agents qui l’ont interpellé ont déjà fait leurs rapports, la procédure est enclenchée. »
En 1995, le monologue intérieur électrique de Rick Rubin, producteur majeur de rap et de heavy metal, durant les sessions d’enregistrement d’ « American Recordings », la série de reprises hallucinées qui, sous son impulsion, ressuscite en apothéose planétaire, le temps d’une course à la mort, la star vieillissante, gravement malade et déchue après que deux majors successives lui aient rendu ses contrats.
« Et j’emporterai le morceau parce que je suis sûr de moi : « Ce sera le plus grand duo de tous les temps. » On en parlera à peine, ça sera long, ils ne formeront pas le plus grand groupe de tous les temps parce que Cash est lancé dans une course contre la montre et Strummer, lui, sa vie est terminée. Il pourrait arrêter de vivre juste après cette chanson, sa légende est fixée. C’est un attelage de pieds nickelés, sur le papier, mais « Redemption Song » sera le plus grand duo de tous les temps. Et Marley, mort en 81, se retournera dans sa tombe en regrettant de ne pas en être autrement que nom sur le papier, crédit pour la répartition aux ayants droit via leurs avocats – juste pour la jouer ensemble, sous un arbre à papayes ou un cacaotier, exactement comme Cash pleure après ces années d’avant les succès, quand il jouait sur le devant des maisons des uns ou des autres, au crépuscule, après sa journée de représentant de commerce, guitare et contrebasse jouant, elles, après leur journée de mécanos. »
Un tour de force d’écriture, à la fois poignant et sans concessions, à lire en compagnie des titres de l’Homme en Noir, évidemment. La très belle note de lecture de ma collègue et amie Charybde 7 est ici.
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici. Et sans vouloir insister, je crois bien qu’il est épuisé chez l’éditeur, alors… [Ajout 2018 : ] L’ouvrage a été réédité en 2015 dans la collection Hélium d’Actes Sud, et on peut donc se le procurer ici.
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