Chasseurs de saints, serial killers et chansons tristes.
Deuxième roman de Rodrigo Fresán, paru en 1993, et traduit en français seulement en 2010, ces « Vies de Saints » avaient surpris et conquis le public argentin (et espagnol), après le succès d’estime d’« Historia Argentina » (« L’homme du bord extérieur »).
Histoire délirante déjà typique du talent de Fresán, on y rencontre principalement un narrateur étrange aux multiples facettes, Jésus-Christ et son frère jumeau, un serial killer pour le moins curieux, J. Robert Oppenheimer, et le dernier des « chasseurs de saints », employé secret du Vatican, chargé d’opérer en douceur mais fermement lorsqu’il y a du miracle ou de la canonisation dans l’air… Une sorte de « Van Helsing » à rebours, comme il fut dit à l’époque…
« Les deux agents de police vomissent et démontrent une parfaite connaissance de cette technique du contrepoint où plusieurs voix répètent ce que viennent juste de chanter d’autres voix. Le canon. Il y en a un qui vomit en premier et ensuite, doucement, l’autre se met à vomir à son tour. La composition de leur vomi respectif est quasiment interchangeable. Ils ont tous les deux mangé la même chose au même endroit. Toutefois, l’un préfère le Pepsi et l’autre défendra la suprématie du Coca-Cola jusque dans la tombe. Continuons le combat. »
« Je m’inclinerai alors, presque révérencieux malgré moi. Il n’y aura pas la moindre trace de rigor mortis. Je détacherai la cage de doigts autour du cahier rouge, le maudit journal de ton ancien professeur de mathématiques. L’Évangile Selon Valentini. Je donnerai un, deux, trois, huit coups de pelle jusqu’à parvenir à détacher la tête du tronc. Le sang rouge coulera encore, cinq ans après les derniers rituels, après la tardive formule d’excommunication (« Et après ta mort, ton corps restera éternellement incorruptible comme la pierre et le fer »). La soutane pourrie, l’élasticité de la chair froide et rosée et l’étouffant parfum de violette et d’iris, je l’ai déjà dit : cette odeur paradoxale que partagent aussi bien les saints les plus probes que les Nosferatu de Transylvanie les plus efficients, les meilleurs non-morts de la plus obscure Europe. »
C’est aussi à partir de ce roman que Fresán commence à donner chair, peu à peu, à la ville mythique et improbable de Canciones Tristes, où tout commence et tout finit. Un moment de bonheur, de perplexité parfois, de rire intense, de vertige très souvent… Du grand Rodrigo Fresán, déjà !
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