Fuir ou faire face, renoncer ou se battre, au-delà des méandres de l’histoire familiale.
Publié en 2012 chez Actes Sud, le dixième et avant-dernier (à ce jour) texte de Carole Zalberg réussit encore une prouesse d’enchâssement subtil, en glissant, au cœur d’un récit familial à facettes orchestré autour du destin de familles juives persécutées et détruites, d’adroites et profondes interrogations contemporaines qui résonneront longtemps, sans lourdeur mais profondément, chez la lectrice ou le lecteur. Un texte qu’il faut aussi placer en productif parallèle, car leurs voies apparemment si dissemblables se rejoignent magnifiquement, du grand « La persistance du froid » de Denis Decourchelle (Quidam, 2010).
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Lorsque Suzan, avocate divorcée américaine, vient assister aux obsèques d’Adèle, la Française qui fut l’éternel amour de son père, depuis la rencontre en 1944 du G.I. libérateur et de la survivante indomptable d’une famille juive profondément meurtrie par la fuite loin des pogroms, fuite hélas incomplète et inutile puisque rattrapée par les vélodromes et les camps de la mort quelques années plus tard, elle ne discerne pas encore à quel point, sous prétexte de mieux comprendre son père décédé il y a peu à travers la figure de cette étrangère pourtant peut-être si proche, c’est son propre parcours, celui de sa mère et de ses renoncements, celui de sa tante infatigable militante anti-apartheid en Afrique du Sud, qu’elle entreprend d’interroger pour se mettre enfin, à exister à ses propres yeux.
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Fort en détails lucides sur ces télescopages violents entre la grande Histoire et la petite, intime, familiale, en rebonds terribles sur les écrasements collectifs auxquels s’ajoutent les drames purement intimes, le roman virevolte entre ces femmes, entre leurs différentes manières d’affronter le Mal et ses conséquences, pour traquer en chacune et chacun la tentation du sable confortable entourant la tête de l’autruche.
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Entre la flamboyance passée d’Adèle et la quête désormais obstinée de Suzan, Carole Zalberg nous montre plus puissamment et plus sûrement que bien des essais psychologiques et politiques que la volonté d’oubli détruit aussi sûrement l’individu que les épreuves réelles, et qu’il n’y a pas d’âge pour affronter la réalité, la face dans le vent. Ce que « Feu pour feu », son intense drame poétique, presque chanté, paru il y a quelques semaines, nous rappelle d’une autre manière, entre ses lignes.
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