Trajectoire déjantée et exorcisme personnel d’une rescapée d’une secte, que le 11 septembre 2001 réveille.
Paru presque simultanément aux États-Unis et en France, chez Actes Sud dans une impeccable traduction de Pierre Girard en 2011, ce nouveau livre de Madison Smartt Bell a eu un peu de mal à trouver sa place dans son pays d’origine : sa première phrase garde en effet là-bas des allures de tabou puissant : « Comme mon cœur a chanté quand les tours sont tombées ! Une telle poussée de force pure, se tordant, se désagrégeant, s’épanouissant en ce gigantesque astre de ruines avant de jeter au sol toute sa substance… Ces escarbilles semblables à des moucherons qui tournoyaient tout autour s’avéraient être des mortels jaillissant des flammes. Drapés dans le linceul de leurs cris, ils descendaient. Si j’avais su que la mort pouvait en détruire un tel nombre ! »
Mae, l’héroïne, a passé plusieurs années au sein d’une secte hippie déjantée dans les années 1970. Musique rock, substances illicites, expériences mystiques, emprise d’un gourou dionysiaque,… l’adolescente y a été durablement transformée, et l’on n’apprendra que peu à peu à quel point, à travers les souvenirs et les actes de la Mae de 2002, prédatrice affûtée dissimulée sous la croupière de Las Vegas, quittant la nuit sa caravane pour tenir les créatures du désert dans la lunette de visée de son fusil… et qu’une image fugitivement entrevue à la télévision le 11 septembre 2001 va relancer dans un processus qu’elle avait oublié.
« Les puits de goudron de La Brea. Comment je m’étais retrouvée là, je n’aurais pas su le dire précisément. Peut-être en prenant un bus pour descendre le long de la côte, ou alors un véhicule privé en échange de quelques services particuliers rendus en chemin. J’étais assise en demi-lotus sur le rebord cimenté du trou noir. Il semblait d’un noir d’encre au premier abord, profond comme l’espace infini, mais à force de le fixer, j’ai commencé à distinguer un spectre dans le miroitement de la surface huileuse, à l’image des premières lueurs de l’aube qui tourbillonnent pour échapper à la couleur de la nuit. »
Les 230 pages de cette étonnante trajectoire d’exorcisme personnel constituent une intense expérience de lecture, durant laquelle, bien souvent, on aura le sentiment que le Riau de la trilogie haïtienne, oscillant entre raisonnement et abandon aux puissances du vaudou, se tient à nos côtés et à ceux de la narratrice… Smartt Bell poursuit ici, et avec quelle force, son exploration des ressorts du mal et de la sauvagerie au sein de nos psychismes…
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