Retour à l’intime dans ce huitième roman : les hommes d’une vie, dans un décor inattendu.
Publié en 2008, le huitième roman de Ken Bugul, après le feu d’artifice de « La pièce d’or » en 2006, marquait le retour, dans une volute dont l’auteur a le secret depuis sa « trilogie autobiographique » (1984-1999) et la volte audacieuse de « La folie et la mort » (2000), vers un horizon plus intime, où son humour caustique et ravageur peut se déployer pleinement.
Après s’être cherchée avec rage, et en partie trouvée dans « Riwan ou le chemin de sable », qui concluait la trilogie autobiographique, après avoir parlé à titre posthume avec sa mère absente (dans « De l’autre côté du regard » en 2003), c’est au tour des hommes de sa vie, formidable père de 85 ans à sa propre naissance et frère le plus proche, de 2 ans son aîné, de passer sur le grill de l’introspection subtile de Ken Bugul, qui a choisi pour cela le plus surprenant des terrains et des miroirs, à savoir un café traditionnel du 11ème arrondissement de Paris, dans lequel, au fil de ses séjours français, la narratrice déploie sa curiosité, son sens de l’observation mais aussi, assumées, ses possibles erreurs d’interprétation, pour imaginer les vies des habituées et habitués du lieu, dont l’un, promu un jour confesseur de fait, devient le témoin et le « sparring partner » d’une quête violente, certes, mais toujours désormais quelque peu amusée, de l’élucidation de la relation aux hommes.
Brio de la conteuse à son sommet et subjectivité totalement libérée dévident ainsi enquêtes et obsessions dans de magnifiques boucles quasiment musicales, incluant donc lancinantes répétitions thématiques comme fulgurantes percées nées d’une remarque d’apparence anodine, jusqu’au sourire légèrement désenchanté, mais parfaitement espiègle, des dernières pages.
« Ah ! Chez Max ! C’était spacieux. Il y avait du mouvement, et l’air circulait. Ce que j’aimais Chez Max, c’était la musique d’ambiance. C’était la même musique de tango qui tournait sans cesse. Quand j’avais questionné Max à ce sujet, il m’avait dit que c’était ainsi depuis l’ancien patron. Quand le bar avait été racheté, l’une des choses entre autres, comme le plat du jour, que le repreneur n’avait pas changée, c’était cette musique de tango. Cela faisait insolite mais, en même temps, ce tango en sourdine laissait planer dans le bar un air de tristesse et de force. Une musique qui rappelait à l’âme ses mouvements, ses sautes d’humeur, dans une atmosphère de mysticisme. Malgré les bruits de verres, de commandes, d’assiettes à l’heure du déjeuner, cette musique flottait sur les murs, sur les tables, sur les gens, comme un fantôme invisible. »
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Sans oublier le cas échéant, « Le baobab fou », ici, et « La folie et la mort », là.
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