L’art de la farce cruelle et sauvage, entre Rabelais et Agrati, poussé à son extrême terroriste.
Publié en 2005, la troisième réalisation de Juan Francisco Ferré est aussi sa première à être traduite en français, en 2012 par François Monti, aux éditions Passage du Nord-Ouest.
L’occasion de découvrir l’un des auteurs-phares, plusieurs fois primé, de la « jeune littérature espagnole » d’une part, et de ce mouvement à géométrie variable, généralement appelé « Avant-Pop », autour duquel on retrouve, selon les moments, des auteurs tels que Rodrigo Fresan, Julian Rios ou encore Tommaso Pincio, d’autre part.
Dans un pays basque espagnol jamais nommé mais largement documenté, Gorka est le terroriste ultime de l’Organisation, ETA jamais nommée non plus. Ancien conseiller municipal passé à la lutte armée, il est devenu un personnage de légende, répandant la terreur para-institutionnelle sans aucune pitié, face aux hordes de la police et de la justice de l’ « Occupant ». Ses aventures, ses cruautés, ses doutes, ses ignominies, ses rêves et cauchemars, comme les frasques dues à son brutal et insatiable appétit sexuel, ou encore son changement de sexe (réel ou fantasmé) à l’issue d’un processus de paix le conduisant, in fine, à une retraite aussi dorée que peut-être illusoire : sur ce matériau ensanglanté et foisonnant, Juan Francisco Ferré construit une sublime farce, dans un redoutable assemblage de Rabelais, d’Acker et d’Agrati, pourrait-on dire, qui s’élève face aux terrorismes de toute nature, pour ne jamais retomber, comme l’emblématique voiture piégée de l’amiral Carrero Blanco qui ouvre cet énorme bal des ânes.
Un grand et agressif moment de littérature, joliment noyé dans le rire gargantuesque et priapique.
« Le rondin de la race.
Où qu’il aille, il l’emmène avec lui, telle une relique ancestrale, un ex-voto fait à ses origines.
Il le lia à sa vie alors qu’il avait dix ans, et là où le devoir l’envoie, cet infaillible rondin l’accompagne. Une épaisse bûche centenaire que Gorka avait un jour pris par hasard d’un tas de bois de chêne récemment coupé par un bûcheron sans chemise. Celui-ci pratiquait tout un rituel avant de brandir la hache et, en bretelles ou le torse nu, de faire un sort à d’immenses forêts pour le compte d’une compagnie forestière qui finira par faire faillite et le laisser sans travail. La rugosité sinueuse de la coupe, ou la persistance de deux ou trois bourgeons verts jaillissant du rondin, attira Gorka vers l’objet contondant qui venait de tomber à ses pieds de l’implacable élagage du bûcheron infatigable. »
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Une brève présentation effectuée lors d’une soirée chez Charybde consacrée aux éditions Passage du Nord-Ouest :
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