Une gouailleuse rue de Dakar, un poétique conte philosophique et moral déguisé en enquête policière.
Paru en 2005, le sixième roman de la Sénégalaise (vivant à l’époque au Bénin) Ken Bugul est une belle réussite. Fidèle à son style caractéristique, poétique et incantatoire, elle met en scène avec brio une fausse enquête policière et authentique conte philosophique.
Dans la rue Félix-Faure, microcosme très populaire de Dakar où se côtoient immigrés cap-verdiens, immigrés « de l’intérieur » sénégalais et déclassés par accident ou par choix, et où règne une certaine bonhomie, le cadavre tronçonné d’un lépreux est retrouvé au petit matin, dans une mise en scène qui pourrait suggérer un meurtre rituel. Tout le petit peuple de la rue, le coiffeur Tonio, le religieux Muezzin, le cinéaste Djib, la gargotière chanteuse de blues Drianké, le respecté Philosophe de la Rue et ses apprentis philosophes, la silencieuse Muñ, tous vont contribuer par petites touches, narrées ou même scandées et chantées, à élucider le drame, qui en dira long in fine sur l’emprise croissante des intermédiaires religieux, de toute obédience, escrocs et profiteurs plus souvent qu’à leur tour dans ce Sénégal en proie au doute…
« Le Philosophe lui aussi approuvait ce que le Chef de la police disait. Pour le Philosophe, certains crimes n’étaient pas des crimes. La manière dont le corps du grand lépreux avait été découpé, avec les petites parties sexuelles enfoncées dans la bouche, cela signifiait quelque chose et c’était cela qu’il fallait connaître, c’était cela qu’il fallait analyser. Il y avait un message dans cette mise en scène. Et les quatre lampes-tempête allumées, posées aux quatre points cardinaux, émettaient d’autres signes. Finalement, le corps découpé en gros morceaux n’avait pas d’importance. Pour tous les deux, le Chef de la police et le philosophe, ce qui les intéressait, c’était l’histoire qu’il y avait derrière tout cela. »
L’un de mes romans préférés de Ken Bugul.
Le livre est actuellement épuisé, et n’est pas disponible en occasion chez Charybde, sinon je n’aurais pas manqué de vous le signaler ici.
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