Du rêve théâtral à la fuite en Finlande, la création et la douleur.
Troisième volet du cycle du Démiurge, publié en 1999 chez Fayard (et qui sera repris au sein du premier volume de l’intégrale du cycle, que co-éditent en novembre 2015 Dystopia Workshop et Le Bélial), « Mélusath » établit le pont entre les deux premiers volumes, puisque l’on retrouve le héros de « L’ombre d’un soldat » et l’héroïne du « Jongleur interrompu », mêlés de près au destin d’un petit théâtre parisien d’avant-garde, confronté au doute et à l’enjeu de son prochain spectacle. Francis Berthelot y poursuit le travail entrepris jusque là de confrontation aux douleurs et aux traumatismes formateurs et déformateurs de l’enfance, en approfondissant cette fois les mystères du désir amoureux. Le fantastique, discret dans les deux premiers tomes, s’affirme ici avec la création de Mélusath, le génie du Théâtre, qui prend les choses en main lorsque les êtres humains ne parviennent plus ou pas encore à s’affranchir de leurs passés…
Un moment plus tard, cependant, tandis que la doyenne regagne la scène, le murmure de stupeur qui s’élève de l’assistance la fige sur place. Sur son bras, la robe qui rendait Clytemnestre si terne oscille, vaporeuse, comme sous l’effet d’une brise. Elle est à nouveau d’un blanc éblouissant.
L’exergue d’Antonin Artaud (extrait de « Le théâtre et son double », 1938) affirme d’emblée qu’il s’agit ici, sans ambiguïtés, d’une ode au pouvoir de l’engagement dans la représentation, de l’incandescence sur scène : « Tout ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rendre, s’il veut retrouver sa nécessité. » À travers les arabesques, les éclairs et les doutes de ses protagonistes, Francis Berthelot nous offre une belle leçon d’art en action, sur les planches et en dehors, avec en filigrane bon nombre des principes du théâtre de la cruauté, justement.
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– Cette femme, je ne peux même pas l’approcher ! reprend-elle sans l’entendre. En elle comme autour d’elle, il y a trop de haine – exprimée ou non. Si je dois l’incarner en public pendant des semaines, je finirai par me haïr moi-même !
– Eh bien, il faut apprendre à mieux t’aimer. A accepter vos points communs. La pièce l’exige, et notre avenir aussi. Un acteur doit affronter ce qu’il déteste en lui… Nous n’avons pas le choix. »
« Vous prétendez jouer avec les mythes, déclare enfin Mélusath d’une voix impassible. Mais vous ne vous regardez pas en face. Il va falloir que cela change. Le théâtre exige de ceux qui le servent un peu plus d’honnêteté. »
« – Où sommes-nous ? se borne-t-il à lui demander.
– Dans ton décor : celui du spectacle. Mais surtout le tien, à toi, avec ses vilains petits secrets. Hé oui… Un artiste doit puiser dans ce qu’il a d’innommable. Il est temps de sortir tes fantômes des oubliettes !
En même temps que l’apparition « officielle » du fantastique au sein du cycle, venant maintenant subvertir sans fard le cadre réaliste des deux premiers tomes, la souffrance qui n’avait jamais disparu s’installe chez les protagonistes, développant une dialectique enveloppante qui rappelle que, certes, l’adulte doit se battre pour échapper à ce qui le poursuit secrètement depuis l’enfance, mais également qu’il est parfaitement capable de se créer de nouvelles sources de douleur, dont la gestion et la sublimation éventuelles resteront longtemps les clés de son parcours. Et c’est ainsi que le roman change sa géométrie au sein du cycle pour mieux propulser l’ensemble un cran plus loin, à nouveau, en attendant « Le jeu du cormoran ».
À noter qu’il est fortement recommandé de lire le « final » (à partir de la page 268) en écoutant des chants caréliens, par exemple le « Ellos Huolta Huomisesta » de Karolina Kantelinen…
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